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听法语故事: 美丽朋友  第二章

时间:2011-06-08 16:16:52 来源:可可法语 编辑:lydie310  测测英语水平如何

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Bel-Ami  美丽朋友
Guy de Maupassant  莫泊桑
Publication: 1885

Première partie第一部分
Chapitre 2
"Monsieur Forestier, s’il vous plaît ?
- Au troisième, la porte à gauche."
Le concierge avait répondu cela d’une voix aimable
où apparaissait une considération pour son locataire.
Et Georges Duroy monta l’escalier.
Il était un peu gêné, intimidé, mal à l’aise. Il portait
un habit pour la première fois de sa vie, et l’ensemble
de sa toilette l’inquiétait : Il la sentait défectueuse en
tout, par les bottines non vernies mais assez fines cependant,
car il avait la coquetterie du pied, par la
chemise de quatre francs cinquante achetée le ma-
tin même au Louvre, et dont le plastron trop mince
se cassait déjà. Ses autres chemises, celles de tous
les jours, ayant des avaries plus ou moins graves, il
n’avait pu utiliser même la moins abîmée.
Son pantalon, un peu’ trop large, dessinait mal la
jambe, semblait s’enrouler autour du mollet, avait
cette apparence fripée que prennent les vêtements
d’occasion sur les membres qu’ils recouvrent par
aventure. Seul, l’habit n’allait pas mal, s’étant trouvé
à peu près juste pour la taille.
Il montait lentement les marches, le coeur battant,
l’esprit anxieux, harcelé surtout par la crainte d’être
ridicule ; et, soudain, il aperçut en face de lui un monsieur
en grande toilette qui le regardait. Ils se trouvaient
si près l’un de l’autre que Duroy fit un mouvement
en arrière, puis il demeura stupéfait : c’était
lui-même, reflété par une haute glace en pied qui formait
sur le palier du premier une longue perspective
de galerie. Un élan de joie le fit tressaillir, tant il se jugeamieux
qu’il n’aurait cru.
N’ayant chez lui que son petit miroir à barbe, il
n’avait pu se contempler entièrement, et commeil n’y
voyait que fort mal les diverses parties de sa toilette
improvisée, il s’exagérait les imperfections, s’affolait
à l’idée d’être grotesque.
Mais voilà qu’en s’apercevant brusquement dans
la glace, il ne s’était pas même reconnu ; il s’était pris
pour un autre, pour un homme dumonde, qu’il avait
trouvé fort bien, fort chic, au premier coup d’oeil.
Et maintenant, en se regardant avec soin, il reconnaissait
que, vraiment, l’ensemble était satisfaisant.
Alors il s’étudia comme font les acteurs pour apprendre
leurs rôles. Il se sourit, se tendit la main, fit
des gestes, exprima des sentiments : l’étonnement, le
plaisir, l’approbation ; et il chercha les degrés du sourire
et les intentions de l’oeil pour se montrer galant
auprès des dames, leur faire comprendre qu’on les
admire et qu’on les désire.
Une porte s’ouvrit dans l’escalier. Il eut peur d’être
surpris et il se mit à monter fort vite et avec la crainte
d’avoir été vu, minaudant ainsi, par quelque invité de
son ami.
En arrivant au second étage, il aperçut une autre
glace et il ralentit sa marche pour se regarder passer.
Sa tournure lui parut vraiment élégante. Il marchait
bien. Et une confiance immodérée en lui-même emplit
son âme. Certes, il réussirait avec cette figure-là
et son désir d’arriver, et la résolution qu’il se connaissait
et l’indépendance de son esprit. Il avait envie
de courir, de sauter en gravissant le dernier étage. Il
s’arrêta devant la troisième glace, frisa sa moustache
d’un mouvement qui lui était familier, ôta son chapeau
pour rajuster sa chevelure, et murmura à mivoix,
comme il faisait souvent : "Voilà une excellente
invention." Puis, tendant la main vers le timbre, il
sonna.
La porte s’ouvrit presque aussitôt, et il se trouva en
présence d’un valet en habit noir, grave, rasé, si parfait
de tenue que Duroy se troubla de nouveau sans
comprendre d’où lui venait cette vague émotion :
d’une inconsciente comparaison, peut-être, entre la
coupe de leurs vêtements. Ce laquais, qui avait des
souliers vernis, demanda en prenant le pardessus que
Duroy tenait sur son bras par peur de montrer les
taches :
"Qui dois-je annoncer ?"
Et il jeta le nom derrière une porte soulevée, dans
un salon où il fallait entrer.
Mais Duroy, tout à coup perdant son aplomb,
se sentit perclus de crainte, haletant. Il allait faire
son premier pas dans l’existence attendue, rêvée. Il
s’avança, pourtant. Une jeune femme blonde était
debout qui l’attendait, toute seule, dans une grande
pièce bien éclairée et pleine d’arbustes, comme une
serre.
Il s’arrêta net, tout à fait déconcerté. Quelle était
cette dame qui souriait ? Puis il se souvint que Forestier
était marié ; et la pensée que cette jolie blonde
élégante devait être la femme de son ami acheva de
l’effarer.
Il balbutia : "Madame, je suis..." Elle lui tendit la
main : "Je le sais, monsieur. Charlesm’a raconté votre
rencontre d’hier soir, et je suis très heureuse qu’il ait
eu la bonne inspiration de vous prier de dîner avec
nous aujourd’hui."
Il rougit jusqu’aux oreilles, ne sachant plus que
dire ; et il se sentait examiné, inspecté des pieds à la
tête, pesé, jugé.
Il avait envie de s’excuser, d’inventer une raison
pour expliquer les négligences de sa toilette ; mais il
ne trouva rien, et n’osa pas toucher à ce sujet difficile.
Il s’assit sur un fauteuil qu’elle lui désignait, et
quand il sentit plier sous lui le velours élastique et
doux du siège, quand il se sentit enfoncé, appuyé,
étreint par ce meuble caressant dont le dossier et
les bras capitonnés le soutenaient délicatement, il lui
sembla qu’il entrait dans une vie nouvelle et charmante,
qu’il prenait possession de quelque chose de
délicieux, qu’il devenait quelqu’un, qu’il était sauvé ;
et il regarda Mme Forestier dont les yeux ne l’avaient
point quitté.
Elle était vêtue d’une robe de cachemire bleu pâle
qui dessinait bien sa taille souple et sa poitrine
grasse.
La chair des bras et de la gorge sortait d’une
mousse de dentelle blanche dont étaient garnis le
corsage et les courtes manches ; et les cheveux relevés
au sommet de la tête, frisant un peu sur la nuque,
faisaient un léger nuage de duvet blond au-dessus du
cou.
Duroy se rassurait sous son regard, qui lui rappelait
sans qu’il sût pourquoi, celui de la fille rencontrée
la veille aux Folies-Bergère. Elle avait les yeux
gris, d’un gris azuré qui en rendait étrange l’expression,
le nez mince, les lèvres fortes, le menton un peu
charnu, une figure irrégulière et séduisante, pleine
de gentillesse et de malice. C’était un de ces visages
de femme dont chaque ligne révèle une grâce particulière,
semble avoir une signification, dont chaque
mouvement paraît dire ou cacher quelque chose.
Après un court silence, elle lui demanda :
"Vous êtes depuis longtemps à Paris ?"
Il répondit, en reprenant peu à peu possession de
lui :
"Depuis quelques mois seulement, madame. J’ai
un emploi dans les chemins de fer ; mais Forestier
m’a laissé espérer que je pourrais, grâce à lui, pénétrer
dans le journalisme."
Elle eut un sourire plus visible, plus bienveillant ; et
elle murmura en baissant la voix : "Je sais." Le timbre
avait tinté de nouveau. Le valet annonça :
"Mme deMarelle."
C’était une petite brune, de celles qu’on appelle
des brunettes.
Elle entra d’une allure alerte ; elle semblait dessinée,
moulée des pieds à la tête dans une robe sombre
toute simple.
Seule une rose rouge, piquée dans ses cheveux
noirs. attirait l’oeil violemment, semblait marquer
sa physionomie, accentuer son caractère spécial, lui
donner la note vive et brusque qu’il fallait.
Une fillette en robe courte la suivait.MmeForestier
s’élança :
"Bonjour, Clotilde.
- Bonjour,Madeleine."
Elles s’embrassèrent. Puis l’enfant tendit son front
avec une assurance de grande personne, en prononçant
:
"Bonjour, cousine."
Mme Forestier la baisa ; puis fit les présentations :
"M. Georges Duroy, un bon camarade de Charles.
"Mme deMarelle, mon amie, un peu ma parente."
Elle ajouta :
"Vous savez, nous sommes ici sans cérémonie,
sans façon et sans pose. C’est entendu, n’est-ce pas ?"
Le jeune homme s’inclina.
Mais la porte s’ouvrit de nouveau, et un petit gros
monsieur, court et rond, parut, donnant le bras à une
grande et belle femme, plus haute que lui, beaucoup
plus jeune, de manières distinguées et d’allure grave.
M.Walter, député, financier, homme d’argent et d’affaires,
juif et méridional, directeur de La Vie Française,
et sa femme, née Basile-Ravalau, fille du banquier
de ce nom.
Puis parurent, coup sur coup, Jacques Rival, très
élégant, etNorbert de Varenne, dont le col d’habit luisait,
un peu ciré par le frottement des longs cheveux
qui tombaient jusqu’aux épaules, et semaient dessus
quelques grains de poussière blanche.
Sa cravate, mal nouée, ne semblait pas à sa première
sortie. Il s’avança avec des grâces de vieux beau
et, prenant la main de Mme Forestier, mit un baiser
sur son poignet. Dans le mouvement qu’il fit en se
baissant, sa longue chevelure se répandit comme de
l’eau sur le bras nu de la jeune femme.
Et Forestier entra à son tour en s’excusant d’être
en retard. Mais il avait été retenu au journal par l’affaire
Morel. M. Morel, député radical, venait d’adresser
une question au ministère sur une demande de
crédit relative à la colonisation de l’Algérie.
Le domestique cria :
"Madame est servie !"
Et on passa dans la salle à manger.
Duroy se trouvait placé entre Mme de Marelle et
sa fille. Il se sentait de nouveau gêné, ayant peur
de commettre quelque erreur dans le maniement
conventionnel de la fourchette, de la cuiller ou des
verres. Il y en avait quatre, dont un légèrement teinté
de bleu. Que pouvait-on boire dans celui-là ?
On ne dit rien pendant qu’on mangeait le potage,
puis Norbert de Varenne demanda : "Avez-vous lu ce
procès Gauthier ? Quelle drôle de chose !"
Et on discuta sur le cas d’adultère compliqué de
chantage. On n’en parlait point comme on parle, au
sein des familles, des événements racontés dans les
feuilles publiques, mais comme on parle d’unemaladie
entre médecins ou de légumes entre fruitiers. On
ne s’indignait pas, on ne s’étonnait pas des faits ; on
en cherchait les causes profondes, secrètes, avec une
curiosité professionnelle et une indifférence absolue
pour le crime lui-même. On tâchait d’expliquer nettement
les origines des actions, de déterminer tous
les phénomènes cérébraux dont était né le drame, résultat
scientifique d’un état d’esprit particulier. Les
femmes aussi se passionnaient à cette poursuite, à ce
travail. Et d’autres événements récents furent examinés,
commentés, tournés sous toutes leurs faces, pe-
sés à leur valeur, avec ce coup d’oeil pratique et cette
manière de voir spéciale des marchands de nouvelles,
des débitants de comédie humaine à la ligne, comme
on examine, comme on retourne et comme on pèse,
chez les commerçants, les objets qu’on va livrer au
public.
Puis il fut question d’un duel, et Jacques Rival prit
la parole. Cela lui appartenait : personne autre ne
pouvait traiter cette affaire,
Duroy n’osait point placer un mot. Il regardait
parfois sa voisine, dont la gorge ronde le séduisait.
Un diamant tenu par un fil d’or pendait au bas de
l’oreille, comme une goutte d’eau qui aurait glissé sur
la chair.De temps en temps, elle faisait une remarque
qui éveillait toujours un sourire sur les lèvres. Elle
avait un esprit drôle, gentil, inattendu, un esprit de
gamine expérimentée qui voit les choses avec insouciance
et les juge avec un scepticisme léger et bienveillant.
Duroy cherchait en vain quelque compliment à lui
faire, et, ne trouvant rien, il s’occupait de sa fille, lui
versait à boire, lui tenait ses plats, la servait. L’enfant,
plus sévère que sa mère, remerciait avec une voix
grave, faisait de courts saluts de la tête : " Vous êtes
bien aimable, monsieur", et elle écoutait les grandes
personnes d’un petit air réfléchi.
Le dîner était fort bon, et chacun s’extasiait. M.
Walter mangeait comme un ogre, ne parlait presque
pas, et considérait d’un regard oblique, glissé sous
ses lunettes, lesmets qu’on lui présentait. Norbert de
Varenne lui tenait tête et laissait tomber parfois des
gouttes de sauce sur son plastron de chemise.
Forestier, souriant et sérieux, surveillait, échangeait
avec sa femme des regards d’intelligence, à la
façon de compères accomplissant ensemble une besogne
difficile et qui marche à souhait.
Les visages devenaient rouges, les voix s’enflaient.
De moment en moment, le domestique murmurait à
l’oreille des convives : "Corton - Château-Laroze ?"
Duroy avait trouvé le corton de son goût et il laissait
chaque fois emplir son verre. Une gaieté délicieuse
entrait en lui ; une gaieté chaude, qui lui montait
du ventre à la tête, lui courait dans les membres,
le pénétrait tout entier. Il se sentait envahi par un
bien-être complet, un bien-être de vie et de pensée,
de corps et d’âme.
Et une envie de parler lui venait, de se faire remarquer,
d’être écouté, apprécié comme ces hommes
dont on savourait les moindres expressions.
Mais la causerie qui allait sans cesse, accrochant
les idées les unes aux autres, sautant d’un sujet à
l’autre sur un mot, un rien, après avoir fait le tour
des événements du jour et avoir effleuré, en passant,
mille questions, revint à la grande interpellation de
M.Morel sur la colonisation de l’Algérie.
M.Walter, entre deux services, fit quelques plaisanteries,
car il avait l’esprit sceptique et gras. Forestier
raconta son article du lendemain. Jacques Rival réclama
un gouvernement militaire avec des concessions
de terre accordées à tous les officiers après
trente années de service colonial.
"De cette façon, disait-il, vous créerez une société
énergique, ayant appris depuis longtemps à
connaître et à aimer le pays, sachant sa langue et au
courant de toutes ces graves questions locales aux-
quelles se heurtent infailliblement les nouveaux venus."
Norbert de Varenne l’interrompit :
"Oui... ils sauront tout, excepté l’agriculture. Ils
parleront l’arabe,mais ils ignoreront comment on repique
des betteraves et comment on sème du blé. Ils
serontmêmeforts en escrime, mais très faibles sur les
engrais. Il faudrait au contraire ouvrir largement ce
pays neuf à tout le monde. Les hommes intelligents
s’y feront une place, les autres succomberont. C’est
la loi sociale."
Un léger silence suivit. On souriait.
Georges Duroy ouvrit la bouche et prononça, surpris
par le son de sa voix, comme s’il ne s’était jamais
entendu parler :
"Ce qui manque le plus là-bas, c’est la bonne terre.
Les propriétés vraiment fertiles coûtent aussi cher
qu’en France, et sont achetées, comme placements
de fonds, par des Parisiens très riches. Les vrais colons,
les pauvres, ceux qui s’exilent faute de pain,
sont rejetés dans le désert, où il ne pousse rien, par
manque d’eau."
Tout le monde le regardait. Il se sentit rougir. M.
Walter demanda :
"Vous connaissez l’Algérie,monsieur ?"
Il répondit :
"Oui, monsieur, j’y suis resté vingt-huitmois, et j’ai
séjourné dans les trois provinces."
Et brusquement, oubliant la question Morel, Norbert
de Varenne l’interrogea sur un détail de moeurs
qu’il tenait d’un officier. Il s’agissait du Mzab, cette
étrange petite république arabe née au milieu du Sahara,
dans la partie la plus desséchée de cette région
brûlante.
Duroy avait visité deux fois le Mzab, et il raconta
les moeurs de ce singulier pays, où les gouttes d’eau
ont la valeur de l’or, où chaque habitant est tenu à
tous les services publics, où la probité commerciale
est poussée plus loin que chez les peuples civilisés.
Il parla avec une certaine verve hâbleuse, excité par
le vin et par le désir de plaire ; il raconta des anecdotes
de régiment, des traits de la vie arabe, des aventures
de guerre. Il trouva même quelques mots colorés
pour exprimer ces contrées jaunes et nues, interminablement
désolées sous la flamme dévorante du
soleil.
Toutes les femmes avaient les yeux sur lui. Mme
Walter murmura de sa voix lente : "Vous feriez avec
vos souvenirs une charmante série d’articles. " Alors
Walter considéra le jeune homme par-dessus le verre
de ses lunettes, comme il faisait pour bien voir les visages.
Il regardait les plats par-dessous.
Forestier saisit le moment :
"Mon cher patron, je vous ai parlé tantôt de M.
Georges Duroy, en vous demandant de me l’adjoindre
pour le service des informations politiques.
Depuis que Marambot nous a quittés, je n’ai personne
pour aller prendre des renseignements urgents
et confidentiels, et le journal en souffre."
Le pèreWalter devint sérieux et releva tout à fait ses
lunettes pour regarder Duroy bien en face. Puis il dit :
"Il est certain que M. Duroy a un esprit original.
S’il veut bien venir causer avec moi, demain à trois
heures, nous arrangerons ça."
Puis, après un silence, et se tournant tout à fait vers
le jeune homme :
"Mais faites-nous tout de suite une petite série fantaisiste
sur l’Algérie. Vous raconterez vos souvenirs,
et vous mêlerez à ça la question de la colonisation,
comme tout à l’heure. C’est d’actualité, tout à fait
d’actualité, et je suis sûr que ça plaira beaucoup à nos
lecteurs. Mais dépêchez-vous ! Il me faut le premier
article pour demain ou après-demain, pendant qu’on
discute à la Chambre, afin d’amorcer le public."
Mme Walter ajouta, avec cette grâce sérieuse
qu’elle mettait en tout et qui donnait un air de faveurs
à ses paroles :
"Et vous avez un titre charmant : Souvenirs d’un
chasseur d’Afrique ; n’est-ce pas, monsieurNorbert ?"
Le vieux poète, arrivé tard à la renommée, détestait
et redoutait les nouveaux venus. Il répondit d’un air
sec :
"Oui, excellent, à condition que la suite soit dans la
note, car c’est là la grande difficulté ; la note juste, ce
qu’en musique on appelle le ton."
Mme Forestier couvrait Duroy d’un regard protecteur
et souriant, d’un regard de connaisseur qui semblait
dire : "Toi, tu arriveras." Mme de Marelle s’était,
à plusieurs reprises, tournée vers lui, et le diamant
de son oreille tremblait sans cesse, comme si la fine
goutte d’eau allait se détacher et tomber.
La petite fille demeurait immobile et grave, la tête
baissée sur son assiette.
Mais le domestique faisait le tour de la table, versant
dans les verres bleus du vin de Johannisberg ; et
Forestier portait un toast en saluantM.Walter : " A la
longue prospérité de La Vie Française !"
Tout le monde s’inclina vers le Patron, qui souriait,
et Duroy, gris de triomphe, but d’un trait. Il aurait
vidé de même une barrique entière, lui semblait-il ;
il aurait mangé un boeuf, étranglé un lion. Il se sentait
dans lesmembres une vigueur surhumaine, dans
l’esprit une résolution invincible et une espérance infinie.
Il était chez lui, maintenant, au milieu de ces
gens ; il venait d’y prendre position, d’y conquérir sa
place. Son regard se posait sur les visages avec une
assurance nouvelle, et il osa, pour la première fois,
adresser la parole à sa voisine :
"Vous avez, madame, les plus jolies boucles
d’oreilles que j’aie jamais vues. "
Elle se tourna vers lui en souriant :
"C’est une idée à moi de pendre des diamants
comme ça, simplement au bout du fil. On dirait vraiment
de la rosée, n’est-ce pas ?"
Il murmura, confus de son audace et tremblant de
dire une sottise :
"C’est charmant... mais l’oreille aussi fait valoir la
chose."
Elle le remercia d’un regard, d’un de ces clairs regards
de femme qui pénètrent jusqu’au coeur.
Et comme il tournait la tête, il rencontra encore les
yeux deMme Forestier, toujours bienveillants, mais il
crut y voir une gaieté plus vive, une malice, un encouragement.
Tous les hommes maintenant parlaient en même
temps, avec des gestes et des éclats de voix ; on discutait
le grand projet du chemin de fer métropolitain.
Le sujet ne fut épuisé qu’à la fin du dessert, chacun
ayant une quantité de choses à dire sur la lenteur des
communications dans Paris, les inconvénients des
tramways, les ennuis des omnibus et la grossièreté
des cochers de fiacre.
Puis on quitta la salle à manger pour aller prendre
le café. Duroy, par plaisanterie, offrit son bras à la petite
fille. Elle le remercia gravement, et se haussa sur
la pointe des pieds pour arriver à poser la main sur le
coude de son voisin.
En entrant dans le salon, il eut de nouveau la
sensation de pénétrer dans une serre. De grands
palmiers ouvraient leurs feuilles élégantes dans les
quatre coins de la pièce, montaient jusqu’au plafond,
puis s’élargissaient en jets d’eau.
Des deux côtés de la cheminée, des caoutchoucs,
ronds comme des colonnes, étageaient l’une sur
l’autre leurs longues feuilles d’un vert sombre, et sur
le piano deux arbustes inconnus, ronds et couverts
de fleurs, l’un tout rose et l’autre tout blanc, avaient
l’air de plantes factices, invraisemblables, trop belles
pour être vraies.
L’air était frais et pénétré d’un parfum vague, doux,
qu’on n’aurait pu définir, dont on ne pouvait dire le
nom.
Et le jeune homme, plus maître de lui, considéra
avec attention l’appartement. Il n’était pas grand ;
rien n’attirait le regard en dehors des arbustes ; aucune
couleur vive ne frappait ; mais on se sentait à
son aise dedans, on se sentait tranquille, reposé ; il
enveloppait doucement, il plaisait, mettait autour du
corps quelque chose comme une caresse.
Les murs étaient tendus avec une étoffe ancienne
d’un violet passé, criblée de petites fleurs de soie
jaune, grosses comme desmouches.
Des portières en drap bleu gris, en drap de soldat,
ou l’on avait brodé quelques oeillets de soie
rouge, retombaient sur les portes ; et les sièges, de
toutes les formes, de toutes les grandeurs, éparpillés
au hasard dans l’appartement, chaises longues, fauteuils
énormes ou minuscules, poufs et tabourets,
étaient couverts de soie Louis XVI ou du beau velours
d’Utrecht, fond crème à dessins grenat.
"Prenez-vous du café,monsieur Duroy ?"
Et Mme Forestier lui tendait une tasse pleine, avec
ce sourire ami qui ne quittait point sa lèvre.
"Oui, madame, je vous remercie."
Il reçut la tasse, et comme il se penchait plein d’angoisse
pour cueillir avec la pince d’argent un morceau
de sucre dans le sucrier que portait la petite fille,
la jeune femme lui dit à mi-voix :
"Faites donc votre cour à MmeWalter."
Puis elle s’éloigna avant qu’il eût pu répondre un
mot.
Il but d’abord son café qu’il craignait de laisser
tomber sur le tapis ; puis, l’esprit plus libre, il chercha
un moyen de se rapprocher de la femme de son
nouveau directeur et d’entamer une conversation.
Tout à coup il s’aperçut qu’elle tenait à la main sa
tasse vide ; et, comme elle se trouvait loin d’une table,
elle ne savait où la poser. Il s’élança.
"Permettez, madame.
-Merci, monsieur."
Il emporta la tasse, puis il revint :
"Si vous saviez, madame, quels bons momentsm’a
fait passer La Vie Française quand j’étais là-bas dans
le désert. C’est vraiment le seul journal qu’on puisse
lire hors de France, parce qu’il est plus littéraire, plus
spirituel et moins monotone que tous les autres. On
trouve de tout là-dedans."
Elle sourit avec une indifférence aimable, et répondit
gravement :
"M. Walter a eu bien du mal pour créer ce type de
journal, qui répondait à un besoin nouveau."
Et ils se mirent à causer. Il avait la parole facile et
banale, du charme dans la voix, beaucoup de grâce
dans le regard et une séduction irrésistible dans la
moustache. Elle s’ébouriffait sur sa lèvre, crépue, frisée,
jolie, d’un blond teinté de roux avec une nuance
plus pâle dans les poils hérissés des bouts.
Ils parlèrent de Paris, des environs, des bords de la
Seine, des villes d’eaux, des plaisirs de l’été, de toutes
les choses courantes sur lesquelles on peut discourir
indéfiniment sans se fatiguer l’esprit.
Puis, comme M. Norbert de Varenne s’approchait,
un verre de liqueur à la main,Duroy s’éloigna par discrétion.
Mme de Marelle, qui venait de causer avec Forestier,
l’appela :
"Eh bien, monsieur, dit-elle brusquement, vous
voulez donc tâter du journalisme?"
Alors il parla de ses projets, en termes vagues,
puis recommença avec elle la conversation qu’il venait
d’avoir avec Mme Walter ; mais, comme il possédait
mieux son sujet, il s’y montra supérieur, répétant
comme de lui des choses qu’il venait d’entendre.
Et sans cesse il regardait dans les yeux sa voisine,
comme pour donner à ce qu’il disait un sens profond.
Elle lui raconta à son tour des anecdotes, avec un
entrain facile de femme qui se sait spirituelle et qui
veut toujours être drôle ; et, devenant familière, elle
posait la main sur son bras, baissait la voix pour dire
des riens, qui prenaient ainsi un caractère d’intimité.
Il s’exaltait intérieurement à frôler cette jeune femme
qui s’occupait de lui. Il aurait voulu tout de suite se
dévouer pour elle, la défendre,montrer ce qu’il valait,
et les retards qu’il mettait à lui répondre indiquaient
la préoccupation de sa pensée.
Mais tout à coup, sans raison, Mme deMarelle appelait
: "Laurine !" et la petite fille s’en vint.
"Assieds-toi là, mon enfant, tu aurais froid près de
la fenêtre."
Et Duroy fut pris d’une envie folle d’embrasser la
fillette, comme si quelque chose de ce baiser eût dû
retourner à la mère.
Il demanda d’un ton galant et paternel :
"Voulez-vous me permettre de vous embrasser,
mademoiselle ?"
L’enfant leva les yeux sur lui d’un air surpris. Mme
deMarelle dit en riant :
"Réponds : "Je veux bien, monsieur, pour aujourd’hui
; mais ce ne sera pas toujours comme ça."
Duroy, s’asseyant aussitôt, prit sur son genou Laurine,
puis effleura des lèvres les cheveux ondés et fins
de l’enfant,
La mère s’étonna :
"Tiens, elle ne s’est pas sauvée ; c’est stupéfiant.
Elle ne se laisse d’ordinaire embrasser que par les
femmes. Vous êtes irrésistible, monsieur Duroy."
II rougit, sans répondre, et d’un mouvement léger
il balançait la petite fille sur sa jambe.
Mme Forestier s’approcha, et, poussant un cri
d’étonnement :
"Tiens, voilà Laurine apprivoisée, quel miracle !"
Jacques Rival aussi s’en venait, un cigare à la
bouche, et Duroy se leva pour partir, ayant peur de
gâter par quelque mot maladroit la besogne faite, son
oeuvre de conquête commencée.
Il salua, prit et serra doucement la petite main tendue
des femmes, puis secoua avec force la main des
hommes. Il remarqua que celle de Jacques Rival était
sèche et chaude et répondait cordialement à sa pression
; celle de Norbert de Varenne, humide et froide
et fuyait en glissant entre les doigts ; celle du père
Walter, froide et molle, sans énergie, sans expression ;
celle de Forestier, grasse et tiède. Son ami lui dit à mivoix
:
"Demain, trois heures, n’oublie pas.
- Oh ! non, ne crains rien."
Quand il se retrouva sur l’escalier, il eut envie de
descendre en courant, tant sa joie était véhémente,
et il s’élança, enjambant les marches deux par deux ;
mais tout à coup, il aperçut, dans la grande glace
du second étage, un monsieur pressé qui venait en
gambadant à sa rencontre, et il s’arrêta net, honteux
comme s’il venait d’être surpris en faute.
Puis il se regarda longuement, émerveillé d’être
vraiment aussi joli garçon ; puis il se sourit avec complaisance
; puis, prenant congé de son image, il se
salua très bas, avec cérémonie, comme on salue les
grands personnages.

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