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听法语故事: 美丽朋友  第十七章

时间:2011-06-23 12:30:39 来源:可可法语 编辑:lydie310  测测英语水平如何

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Bel-Ami  美丽朋友
Guy de Maupassant  莫泊桑
Publication: 1885

Deuxième partie
Chapitre 17




Trois mois s’étaient écoulés. Le divorce de Du Roy
venait d’être prononcé. Sa femme avait repris son
nom de Forestier, et comme les Walter devaient partir,
le 15 juillet, pour Trouville, on décida de passer
une journée à la campagne, avant de se séparer.
On choisit un jeudi, et on se mit en route dès neuf
heures du matin, dans un grand landau de voyage à
six places, attelé en poste à quatre chevaux.
On allait déjeuner à Saint-Germain, au pavillon
Henri-IV. Bel-Ami avait demandé à être le seul
homme de la partie, car il ne pouvait supporter la
présence et la figure du marquis de Cazolles.Mais, au
derniermoment, il fut décidé que le comte de Latour-
Yvelin serait enlevé, au saut du lit. On l’avait prévenu
la veille.
La voiture remonta au grand trot l’avenue des
Champs-Élysées, puis traversa le bois de Boulogne.
Il faisait un admirable temps d’été, pas trop chaud.
Les hirondelles traçaient sur le bleu du ciel de
grandes lignes courbes qu’on croyait voir encore
quand elles étaient passées.
Les trois femmes se tenaient au fond du landau, la
mère entre ses deux filles ; et les trois hommes, à reculons,
Walter entre les deux invités.
On traversa la Seine, on contourna le Mont-
Valérien, puis on gagna Bougival, pour longer ensuite
la rivière jusqu’au Pecq.
Le comte de Latour-Yvelin, un homme un peu mûr
à longs favoris légers, dont le moindre souffle d’air
agitaient les pointes, ce qui faisait dire à Du Roy : "Il
obtient de jolis effets de vent dans sa barbe", contemplait
Rose tendrement. Ils étaient fiancés depuis un
mois.
Georges, fort pâle, regardait souvent Suzanne, qui
était pâle aussi. Leurs yeux se rencontraient, semblaient
se concerter, se comprendre, échanger secrètement
une pensée, puis se fuyaient. Mme Walter
était tranquille, heureuse.
Le déjeuner fut long. Avant de repartir pour Paris,
Georges proposa de faire un tour sur la terrasse.
On s’arrêta d’abord pour examiner la vue. Tout le
monde se mit en ligne le long du mur et on s’extasia
sur l’étendue de l’horizon. La Seine, au pied d’une
longue colline, coulait vers Maisons-Laffitte, comme
un immense serpent couché dans la verdure. A droite,
sur le sommet de la côte, l’aqueduc de Marly projetait
sur le ciel son profil énorme de chenille à grandes
pattes, et Marly disparaissait, au-dessous, dans un
épais bouquet d’arbres.
Par la plaine immense qui s’étendait en face, on
voyait des villages, de place en place. Les pièces d’eau
du Vésinet faisaient des taches nettes et propres dans
la maigre verdure de la petite forêt. A gauche, tout au
loin, on apercevait en l’air le clocher pointu de Sartrouville.
Walter déclara :
"On ne peut trouver nulle part au monde un semblable
panorama. Il n’y en a pas un pareil en Suisse."
Puis on se mit en marche doucement pour faire
une promenade et jouir un peu de cette perspective.
Georges et Suzanne restèrent en arrière. Dès qu’ils
furent écartés de quelques pas, il lui dit d’une voix
basse et contenue :
"Suzanne, je vous adore. Je vous aime à en perdre
la tête."
Elle murmura :
"Moi aussi, Bel-Ami."
Il reprit :
"Si je ne vous ai pas pour femme, je quitterai Paris
et ce pays."
Elle répondit :
"Essayez donc de me demander à papa. Peut-être
qu’il voudra bien. "
Il eut un petit geste d’impatience :
"Non, je vous le répète pour la dixième fois, c’est
inutile. On me fermera la porte de votre maison ; on
m’expulsera du journal ; et nous ne pourrons plus
même nous voir. Voilà le joli résultat auquel je suis
certain d’arriver par une demande en règle.On vous a
promise au marquis de Cazolles. On espère que vous
finirez par dire : "Oui." Et on attend."
Elle demanda :
"Qu’est-ce qu’il faut faire alors ?"
Il hésitait, la regardant de côté :
"M’aimez-vous assez pour commettre une folie ?"
Elle répondit résolument :
"Oui.
- Une grande folie ?
- Oui.
- La plus grande des folies ?
- Oui.
- Aurez-vous aussi assez de courage pour braver
votre père et votremère ?
- Oui.
- Bien vrai ?
- Oui.
- Eh bien, il y a un moyen, un seul ! Il faut que la
chose vienne de vous, et pas de moi. Vous êtes une
enfant gâtée, on vous laisse tout dire, on ne s’étonnera
pas trop d’une audace de plus de votre part.
Écoutez donc. Ce soir, en rentrant, vous irez trouver
votre maman, d’abord, votre maman toute seule.
Et vous lui avouerez que vous voulez m’épouser. Elle
aura une grosse émotion et une grosse colère..."
Suzanne l’interrompit :
"Oh ! maman voudra bien."
Il reprit vivement :
"Non. Vous ne la connaissez pas. Elle sera plus
fâchée et plus furieuse que votre père. Vous verrez
comme elle refusera.Mais vous tiendrez bon, vous ne
céderez pas ; vous répéterez que vous voulezm’épouser,
moi, seul, rien que moi. Le ferez-vous ?
- Je le ferai.
- Et en sortant de chez votre mère, vous direz la
même chose à votre père, d’un air très sérieux et très
décidé.
- Oui, oui. Et puis ?
- Et puis, c’est là que ça devient grave. Si vous
êtes résolue, bien résolue, bien, bien, bien résolue à
être ma femme, ma chère, chère petite Suzanne... Je
vous... je vous enlèverai !"
Elle eut une grande secousse de joie et faillit battre
des mains.
"Oh ! quel bonheur ! vous m’enlèverez ? Quand ça
m’enlèverez-vous ?"
Toute la vieille poésie des enlèvements nocturnes,
des chaises de poste, des auberges, toutes les charmantes
aventures des livres lui passèrent d’un coup
dans l’esprit comme un songe enchanteur prêt à se
réaliser.
Elle répéta :
"Quand çam’enlèverez-vous ?"
Il répondit très bas :
"Mais... ce soir... cette nuit."
Elle demanda, frémissante :
"Et où irons-nous ?
- Ça, c’est mon secret. Réfléchissez à ce que vous
faites. Songez bien qu’après cette fuite vous ne pourrez
plus être que ma femme! C’est le seul moyen,
mais il est... il est très dangereux... pour vous."
Elle déclara :
"Je suis décidée... où vous retrouverai-je ?
- Vous pourrez sortir de l’hôtel, toute seule ?
- Oui. Je sais ouvrir la petite porte.
- Eh bien, quand le concierge sera couché, vers minuit,
venez me rejoindre place de la Concorde. Vous
me trouverez dans un fiacre arrêté en face du ministère
de laMarine.
- J’irai.
- Bien vrai ?
- Bien vrai."
Il lui prit la main et la serra :
"Oh ! que je vous aime ! Comme vous êtes bonne et
brave ! Alors, vous ne voulez pas épouser M. de Cazolles
?
- Oh ! non.
- Votre père s’est beaucoup fâché quand vous avez
dit non ?
- Je crois bien, il voulait me remettre au couvent.
- Vous voyez qu’il est nécessaire d’être énergique.
- Je le serai."
Elle regardait le vaste horizon, la tête pleine de
cette idée d’enlèvement. Elle irait plus loin que làbas...
avec lui !... Elle serait enlevée !... Elle était fière
de ça ! Elle ne songeait guère à sa réputation, à ce qui
pouvait lui arriver d’infâme. Le savait-elle, même? Le
soupçonnait-elle ?
MmeWalter, se retournant, cria :
"Mais viens donc, petite. Qu’est-ce que tu fais avec
Bel-Ami ?"
Ils rejoignirent les autres. On parlait des bains de
mer où on serait bientôt.
Puis on revint par Chatou pour ne pas refaire la
même route.
George ne disait plus rien. Il songeait : Donc, si
cette petite avait un peu d’audace, il allait réussir, enfin
! Depuis trois mois, il l’enveloppait dans l’irrésistible
filet de sa tendresse. Il la séduisait, la captivait, la
conquérait. Il s’était fait aimer par elle, comme il savait
se faire aimer. Il avait cueilli sans peine son âme
légère de poupée.
Il avait obtenu d’abord qu’elle refusât M. de Cazolles.
Il venait d’obtenir qu’elle s’enfuît avec lui. Car
il n’y avait pas d’autre moyen.
Mme Walter, il le comprenait bien, ne consentirait
jamais à lui donner sa fille. Elle l’aimait encore, elle
l’aimerait toujours, avec une violence intraitable. Il la
contenait par sa froideur calculée, mais il la sentait
rongée par une passion impuissante et vorace. Jamais
il ne pourrait la fléchir. Jamais elle n’admettrait qu’il
prît Suzanne.
Mais une fois qu’il tiendrait la petite au loin, il traiterait
de puissance à puissance, avec le père.
Pensant à tout cela, il répondait par phrases hachées
aux choses qu’on lui disait et qu’il n’écoutait
guère. Il parut revenir à lui lorsqu’il rentra dans Paris.
Suzanne aussi songeait ; et le grelot des quatre chevaux
sonnait dans sa tête, lui faisait voir des grandes
routes infinies sous des clairs de lune éternels, des
forêts sombres traversées, des auberges au bord du
chemin, et la hâte des hommes d’écurie à changer
l’attelage, car tout le monde devine qu’ils sont poursuivis.
Quand le landau fut arrivé dans la cour de l’hôtel,
on voulut retenir Georges à dîner. Il refusa et revint
chez lui.
Après avoir un peu mangé, il mit de l’ordre
dans ses papiers comme s’il allait faire un grand
voyage. Il brûla des lettres compromettantes, en cacha
d’autres, écrivit à quelques amis.
De temps en temps il regardait la pendule, en pensant
: "Ça doit chauffer là-bas." Et une inquiétude
le mordait au coeur. S’il allait échouer ? Mais que
pouvait-il craindre ? Il se tirerait toujours d’affaire !
Pourtant c’était une grosse partie qu’il jouait, ce soirlà
!
Il ressortit vers onze heures, erra quelque temps,
prit un fiacre et se fit arrêter place de la Concorde, le
long des arcades du ministère de laMarine.
De temps en temps il enflammait une allumette
pour regarder l’heure à sa montre.Quand il vit approcher
minuit, son impatience devint fiévreuse. A tout
moment il passait la tête à la portière pour regarder.
Une horloge lointaine sonna douze coups, puis
une autre plus près, puis deux ensemble, puis une
dernière très loin. Quand celle-là eut cessé de tinter,
il pensa : "C’est fini. C’est raté. Elle ne viendra pas."
Il était cependant résolu à demeurer jusqu’au jour.
Dans ces cas-là il faut être patient.
Il entendit encore sonner le quart, puis la demie,
puis les trois quarts ; et toutes les horloges répétèrent
une heure comme elles avaient annoncé minuit. Il
n’attendait plus, il restait, creusant sa pensée pour
deviner ce qui avait pu arriver. Tout à coup une tête
de femme passa par la portière et demanda :
"Êtes-vous là, Bel-Ami ?"
Il eut un sursaut et une suffocation.
"C’est vous, Suzanne ?
- Oui, c’est moi."
Il ne parvenait point à tourner la poignée assez
vite, et répétait :
"Ah !... c’est vous... c’est vous... entrez."
Elle entra et se laissa tomber contre lui. Il cria au
cocher : "Allez !" Et le fiacre se mit en route.
Elle haletait, sans parler.
Il demanda :
"Eh bien, comment ça s’est-il passé ?"
Alors elle murmura, presque défaillante :
"Oh ! ça a été terrible, chez maman surtout."
Il était inquiet et frémissant.
"Votre maman? Qu’est-ce qu’elle a dit ? Contezmoi
ça.
- Oh ! ça a été affreux. Je suis entrée chez elle et
je lui ai récité ma petite affaire que j’avais bien préparée.
Alors elle a pâli, puis elle a crié : "Jamais ! jamais
!" Moi, j’ai pleuré, je me suis fâchée, j’ai juré
que je n’épouserais que vous. J’ai cru qu’elle allait me
battre. Elle est devenue comme folle ; elle a déclaré
qu’on me renverrait au couvent, dès le lendemain. Je
ne l’avais jamais vue comme ça, jamais ! Alors papa
est arrivé en l’entendant débiter toutes ses sottises. Il
ne s’est pas fâché tant qu’elle, mais il a déclaré que
vous n’étiez pas un assez beau parti.
"Comme ilsm’avaient mise en colère aussi, j’ai crié
plus fort qu’eux. Et papa m’a dit de sortir avec un
air dramatique qui ne lui allait pas du tout. C’est ce
qui m’a décidée à me sauver avec vous. Me voilà, où
allons-nous ?"
Il avait enlacé sa taille doucement ; et il écoutait de
toutes ses oreilles, le coeur battant, une rancune haineuse
s’éveillant en lui contre ces gens. Mais il la tenait,
leur fille. Ils verraient, à présent.
Il répondit :
"Il est trop tard pour prendre le train ; cette voiturelà
va donc nous conduire à Sèvres où nous passerons
la nuit. Et demain nous partirons pour La Roche-
Guyon. C’est un joli village, au bord de la Seine, entre
Mantes et Bonnières."
Elle murmura :
"C’est que je n’ai pas d’effets. Je n’ai rien."
Il sourit, avec insouciance :
"Bah ! nous nous arrangerons là-bas."
Le fiacre roulait le long des rues. Georges prit une
main de la jeune fille et se mit à la baiser, lentement,
avec respect. Il ne savait que lui raconter, n’étant
guère accoutumé aux tendresses platoniques. Mais
soudain il crut s’apercevoir qu’elle pleurait.
Il demanda, avec terreur :
"Qu’est-ce que vous avez,ma chère petite ?"
Elle répondit, d’une voix toute mouillée :
"C’est ma pauvre maman qui ne doit pas dormir à
cette heure, si elle s’est aperçue de mon départ."
Samère, en effet, ne dormait pas.
Aussitôt Suzanne sortie de sa chambre, Mme Walter
était restée en face de son mari.
Elle demanda, éperdue, atterrée :
"Mon Dieu ! Qu’est-ce que cela veut dire ?"
Walter cria, furieux :
"Ça veut dire que cet intrigant l’a enjôlée. C’est lui
qui a fait refuser Cazolles. Il trouve la dot bonne, parbleu
!"
Il se mit à marcher avec rage à travers l’appartement
et reprit :
"Tu l’attirais sans cesse, aussi, toi, tu le flattais, tu le
cajolais, tu n’avais pas assez de chatteries pour lui.
C’était Bel-Ami par-ci, Bel-Ami par-là, du matin au
soir. Te voilà payée."
Elle murmura, livide :
"Moi ?... je l’attirais !"
Il lui vociféra dans le nez :
"Oui, toi ! Vous êtes toutes folles de lui, la Marelle,
Suzanne et les autres. Crois-tu que je ne voyais pas
que tu ne pouvais point rester deux jours sans le faire
venir ici ?"
Elle se dressa, tragique :
"Je ne vous permettrai pas de me parler ainsi. Vous
oubliez que je n’ai pas été élevée, comme vous, dans
une boutique."
Il demeura d’abord immobile et stupéfait, puis il
lâcha un "Nom de Dieu" furibond, et il sortit en tapant
la porte.
Dès qu’elle fut seule, elle alla, par instinct, vers la
glace pour se regarder, commepour voir si rien n’était
changé en elle, tant ce qui arrivait lui paraissait impossible,
monstrueux. Suzanne était amoureuse de
Bel-Ami ! et Bel-Ami voulait épouser Suzanne ! Non !
elle s’était trompée, ce n’était pas vrai. La fillette avait
eu une toquade bien naturelle pour ce beau garçon,
elle avait espéré qu’on le lui donnerait pourmari ; elle
avait fait son petit coup de tête !Mais lui ? lui ne pouvait
pas être complice de ça ! Elle réfléchissait, troublée
comme on l’est devant les grandes catastrophes.
Non, Bel-Ami ne devait rien savoir de l’escapade de
Suzanne.
Et elle songea longtemps à la perfidie et à l’innocence
possibles de cet homme. Quel misérable, s’il
avait préparé le coup ! Et qu’arriverait-il ?Que de dangers
et de tourments elle prévoyait !
S’il ne savait rien, tout pouvait s’arranger encore.
On ferait un voyage avec Suzanne pendant six mois,
et ce serait fini.Mais comment pourrait-elle le revoir,
elle, ensuite ? Car elle l’aimait toujours. Cette passion
était entrée en elle à la façon de ces pointes de flèche
qu’on ne peut plus arracher.
Vivre sans lui était impossible. Autant mourir. Sa
pensée s’égarait dans ces angoisses et dans ces incertitudes.
Une douleur commençait à poindre dans
sa tête ; ses idées devenaient pénibles, troubles, lui
faisaient mal. Elle s’énervait à chercher, s’exaspérait
de ne pas savoir. Elle regarda sa pendule, il était une
heure passée. Elle se dit : "Je ne veux pas rester ainsi,
je deviens folle. Il faut que je sache. Je vais réveiller
Suzanne pour l’interroger."
Et elle s’en alla, déchaussée, pour ne pas faire de
bruit, une bougie à la main, vers la chambre de sa
fille. Elle l’ouvrit bien doucement, entra, regarda le lit.
Il n’était pas défait. Elle ne comprit point d’abord, et
pensa que la fillette discutait encore avec son père.
Mais aussitôt un soupçon horrible l’effleura et elle
courut chez son mari. Elle y arriva d’un élan ; blême
et haletante. Il était couché et lisait encore.
Il demanda effaré :
"Eh bien ! quoi ? Qu’est-ce que tu as ?"
Elle balbutiait :
"As-tu vu Suzanne ?
-Moi ? Non. Pourquoi ?
- Elle est... elle est... partie. Elle n’est pas dans sa
chambre."
Il sauta d’un bond sur le tapis, chaussa ses pantoufles
et, sans caleçon, la chemise au vent, il se précipita
à son tour vers l’appartement de sa fille.
Dès qu’il l’eut vu, il ne conserva point de doute.
Elle s’était enfuie.
Il tomba sur un fauteuil et posa sa lampe par terre
devant lui.
Sa femme l’avait rejoint. Elle bégaya :
"Eh bien ?"
Il n’avait plus la force de répondre ; il n’avait plus
de colère, il gémit :
"C’est fait, il la tient. Nous sommes perdus."
Elle ne comprenait pas :
"Comment perdus ?
- Eh ! oui, parbleu. Il faut bien qu’il l’épouse maintenant."
Elle poussa une sorte de cri de bête :
"Lui ! jamais ! Tu es donc fou ?"
Il répondit tristement :
"Ça ne sert à rien de hurler. Il l’a enlevée, il l’a
déshonorée. Le mieux est encore de la lui donner. En
s’y prenant bien, personne ne saura cette aventure."
Elle répéta, secouée d’une émotion terrible :
"Jamais ! jamais il n’aura Suzanne ! Jamais je ne
consentirai !"
Walter murmura avec accablement :
"Mais il l’a. C’est fait. Et il la gardera et la cachera
tant que nous n’aurons point cédé. Donc, pour éviter
le scandale, il faut céder tout de suite."
Sa femme, déchirée par une inavouable douleur,
répéta :
"Non ! non. Jamais je ne consentirai !"
Il reprit, s’impatientant :
"Mais il n’y a pas à discuter. Il le faut. Ah ! le gredin,
comme il nous a joués... Il est fort tout de même.
Nous aurions pu trouver beaucoup mieux comme
position, mais pas comme intelligence et comme
avenir. C’est un homme d’avenir. Il sera député et ministre."
MmeWalter déclara, avec une énergie farouche :
"Jamais je ne lui laisserai épouser Suzanne... Tu entends...
jamais ! "
Il finit par se fâcher et par prendre, en homme pratique,
la défense de Bel-Ami.
"Mais, tais-toi donc... Je te répète qu’il le faut...
qu’il le faut absolument. Et qui sait ? Peut-être ne le
regretterons-nous pas. Avec les êtres de cette trempe
là, on ne sait jamais ce qui peut arriver. Tu as vu
comme il a jeté bas, en trois articles, ce niais de
Laroche-Mathieu, et comme il l’a fait avec dignité, ce
qui était rudement difficile dans sa situation de mari.
Enfin nous verrons. Toujours est-il que nous sommes
pris. Nous ne pouvons plus nous tirer de là."
Elle avait envie de crier, de se rouler par terre, de
s’arracher les cheveux. Elle prononça encore, d’une
voix exaspérée :
"II ne l’aura pas... Je... ne... veux... pas !"
Walter se leva, ramassa sa lampe, reprit :
"Tiens, tu es stupide comme toutes les femmes.
Vous n’agissez jamais que par passion. Vous ne savez
pas vous plier aux circonstances... vous êtes stupides !
Moi, je te dis qu’il l’épousera... Il le faut."
Et il sortit en traînant ses pantoufles. Il traversa,
fantôme comique en chemise de nuit, le large corridor
du vaste hôtel endormi, et rentra, sans bruit, dans
sa chambre.
Mme Walter restait debout, déchirée par une intolérable
douleur. Elle ne comprenait pas encore bien,
d’ailleurs. Elle souffrait seulement. Puis il lui sembla
qu’elle ne pourrait pas demeurer là, immobile, jusqu’au
jour. Elle sentait en elle un besoin violent de se
sauver, de courir devant elle, de s’en aller, de chercher
de l’aide, d’être secourue.
Elle cherchait qui elle pourrait bien appeler à elle.
Quel homme! Elle n’en trouvait pas ! Un prêtre ! oui,
un prêtre ! Elle se jetterait à ses pieds, lui avouerait
tout, lui confesserait sa faute et son désespoir. Il comprendrait,
lui, que ce misérable ne pouvait pas épouser
Suzanne et il empêcherait cela.
Il lui fallait un prêtre tout de suite !Mais où le trouver
? Où aller ? Pourtant elle ne pouvait rester ainsi.
Alors passa devant ses yeux, ainsi qu’une vision,
l’image sereine de Jésus marchant sur les flots. Elle
le vit comme elle le voyait en regardant le tableau.
Donc il l’appelait. Il lui disait : "Venez à moi. Venez
vous agenouiller à mes pieds. Je vous consolerai et je
vous inspirerai ce qu’il faut faire."
Elle prit sa bougie, sortit, et descendit pour gagner
la serre. Le Jésus était tout au bout, dans un petit salon
qu’on fermait par une porte vitrée afin que l’humidité
des terres ne détériorât point la toile.
Cela faisait une sorte de chapelle dans une forêt
d’arbres singuliers.
QuandMmeWalter entra dans le jardin d’hiver, ne
l’ayant jamais vu que plein de lumière, elle demeura
saisie devant sa profondeur obscure. Les lourdes
plantes des pays chauds épaississaient l’atmosphère
de leur haleine pesante. Et les portes n’étant plus ouvertes,
l’air de ce bois étrange, enfermé sous un dôme
de verre, entrait dans la poitrine avec peine, étourdissait,
grisait, faisait plaisir et mal, donnait à la chair
une sensation confuse de volupté énervante et de
mort.
La pauvre femme marchait doucement, émue par
les ténèbres où apparaissaient, à la lueur errante de
sa bougie, des plantes extravagantes, avec des aspects
de monstres, des apparences d’êtres, des difformités
bizarres.
Tout d’un coup, elle aperçut le Christ. Elle ouvrit la
porte qui le séparait d’elle, et tomba sur les genoux.
Elle le pria d’abord éperdument, balbutiant des
mots d’amour, des invocations passionnées et désespérées.
Puis, l’ardeur de son appel se calmant, elle
leva les yeux vers lui, et demeura saisie d’angoisse.
Il ressemblait tellement à Bel-Ami, à la clarté tremblante
de cette seule lumière l’éclairant à peine et
d’en bas, que ce n’était plus Dieu, c’était son amant
qui la regardait. C’étaient ses yeux, son front, l’expression
de son visage, son air froid et hautain !
Elle balbutiait : "Jésus ! - Jésus ! - Jésus !" Et le mot
"Georges" lui venait aux lèvres. Tout à coup, elle
pensa qu’à cette heure même, Georges, peut-être,
possédait sa fille. Il était seul avec elle, quelque part,
dans une chambre. Lui ! lui ! avec Suzanne !
Elle répétait : "Jésus !... Jésus !" Mais elle pensait à
eux... à sa fille et à son amant ! Ils étaient seuls, dans
une chambre... et c’était la nuit. Elle les voyait. Elle
les voyait si nettement qu’ils se dressaient devant elle,
à la place du tableau. Ils se souriaient. Ils s’embrassaient.
La chambre était sombre, le lit entrouvert. Elle
se souleva pour aller vers eux, pour prendre sa fille
par les cheveux et l’arracher à cette étreinte. Elle allait
la saisir à la gorge, l’étrangler, sa fille qu’elle haïssait,
sa fille qui se donnait à cet homme. Elle la touchait...
ses mains rencontrèrent la toile. Elle heurtait
les pieds du Christ.
Elle poussa un grand cri et tomba sur le dos. Sa
bougie, renversée, s’éteignit.
Que se passa-t-il ensuite ? Elle rêva longtemps des
choses étranges, effrayantes. Toujours Georges et Suzanne
passaient devant ses yeux, enlacés, avec Jésus-
Christ qui bénissait leur horrible amour.
Elle sentait vaguement qu’elle n’était point chez
elle. Elle voulait se lever, fuir, elle ne le pouvait pas.
Une torpeur l’avait envahie, qui liait ses membres et
ne lui laissait que sa pensée en éveil, trouble cependant,
torturée par des images affreuses, irréelles, fantastiques,
perdue dans un songe malsain, le songe
étrange et parfois mortel que font entrer dans les
cerveaux humains les plantes endormeuses des pays
chauds, aux formes bizarres et aux parfums épais.
Le jour venu, on ramassa Mme Walter, étendue
sans connaissance, presque asphyxiée, devant Jésus
marchant sur les flots. Elle fut si malade qu’on craignit
pour sa vie. Elle ne reprit que le lendemain
l’usage complet de sa raison. Alors, elle se mit à pleurer.
La disparition de Suzanne fut expliquée aux domestiques
par un envoi brusque au couvent. Et M.
Walter répondit à une longue lettre de Du Roy, en lui
accordant lamain de sa fille.
Bel-Ami avait jeté cette épître à la poste aumoment
de quitter Paris, car il l’avait préparée d’avance le soir
de son départ. Il y disait, en termes respectueux, qu’il
aimait depuis longtemps la jeune fille, que jamais
aucun accord n’avait eu lieu entre eux, mais que la
voyant venir à lui, en toute liberté, pour lui dire : " Je
serai votre femme", il se jugeait autorisé à la garder,
à la cacher même, jusqu’à ce qu’il eût obtenu une réponse
des parents dont la volonté légale avait pour lui
une valeur moindre que la volonté de sa fiancée.
Il demandait que M. Walter répondît poste restante,
un ami devant lui faire parvenir la lettre.
Quand il eut obtenu ce qu’il voulait, il ramena Suzanne
à Paris et la renvoya chez ses parents, s’abstenant
lui-même de paraître avant quelque temps.
Ils avaient passé six jours au bord de la Seine, à La
Roche-Guyon.
Jamais la jeune fille ne s’était tant amusée. Elle
avait joué à la bergère. Comme il la faisait passer pour
sa soeur, ils vivaient dans une intimité libre et chaste,
une sorte de camaraderie amoureuse. Il jugeait habile
de la respecter. Dès le lendemain de leur arrivée,
elle acheta du linge et des vêtements de paysanne, et
elle semit à pêcher à la ligne, la tête couverte d’un immense
chapeau de paille orné de fleurs des champs.
Elle trouvait le pays délicieux. Il y avait là une vieille
tour et un vieux château où l’on montrait d’admirables
tapisseries.
Georges, vêtu d’une vareuse achetée toute faite
chez un commerçant du pays, promenait Suzanne,
soit à pied, le long des berges, soit en bateau. Ils
s’embrassaient à tout moment, frémissants, elle innocente
et lui prêt à succomber. Mais il savait être
fort ; et quand il lui dit : "Nous retournerons à Paris
demain, votre père m’accorde votre main", elle
murmura naïvement : "Déjà, çam’amusait tant d’être
votre femme!"

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听法语故事: 美丽朋友  第三章
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