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听法语故事: 美丽朋友  第十六章

时间:2011-06-22 18:00:39 来源:可可法语 编辑:lydie310  测测英语水平如何

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Bel-Ami  美丽朋友
Guy de Maupassant  莫泊桑
Publication: 1885

Deuxième partie
Chapitre 16



Pendant le reste de l’hiver, les Du Roy allèrent souvent
chez les Walter. Georges même y dînait seul à
tout instant,Madeleine se disant fatiguée et préférant
rester chez elle.
Il avait adopté le vendredi comme jour fixe, et la
Patronne n’invitait jamais personne ce soir-là ; il appartenait
à Bel-Ami, rien qu’à lui. Après dîner, on
jouait aux cartes, on donnait à manger aux poissons
chinois, on vivait et on s’amusait en famille. Plusieurs
fois, derrière une porte, derrière un massif de la serre,
dans un coin sombre, Mme Walter avait saisi brusquement
dans ses bras le jeune homme, et, le serrant
de toute sa force sur sa poitrine, lui avait jeté dans
l’oreille : "Je t’aime !... je t’aime !... je t’aime à en mourir
!"Mais toujours il l’avait repoussée froidement, en
répondant d’un ton sec : "Si vous recommencez, je ne
viendrai plus ici. "
Vers la fin de mars, on parla tout à coup du mariage
des deux soeurs. Rose devait épouser disait-on,
le comte de Latour-Yvelin, et Suzanne, le marquis de
Cazolles. Ces deux hommes étaient devenus des familiers
de la maison, de ces familiers à qui on accorde
des faveurs spéciales, des prérogatives sensibles.
Georges et Suzanne vivaient dans une sorte d’intimité
fraternelle et libre, bavardaient pendant des
heures, se moquaient de tout le monde et semblaient
se plaire beaucoup ensemble.
Jamais ils n’avaient reparlé du mariage possible de
la jeune fille, ni des prétendants qui se présentaient.
Comme le Patron avait emmené Du Roy pour déjeuner,
un matin, Mme Walter, après le repas, fut appelée
pour répondre à un fournisseur. Et Georges dit
à Suzanne : "Allons donner du pain aux poissons
rouges."
Ils prirent chacun sur la table un gros morceau de
mie et s’en allèrent dans la serre.
Tout le long de la vasque de marbre on laissait par
terre des coussins afin qu’on pût se mettre à genoux
autour du bassin, pour être plus près des bêtes nageantes.
Les jeunes gens en prirent chacun un, côte
à côte, et, penchés vers l’eau, commencèrent à jeter
dedans des boulettes qu’ils roulaient entre leurs
doigts. Les poissons, dès qu’ils les aperçurent, s’en
vinrent, en remuant la queue, battant des nageoires,
roulant leurs gros yeux saillants, tournant sur euxmêmes,
plongeant pour attraper la proie ronde qui
s’enfonçait, et remontant aussitôt pour en demander
une autre.
Ils avaient des mouvements drôles de la bouche,
des élans brusques et rapides, une allure étrange
de petits monstres ; et sur le sable d’or du fond ils
se détachaient en rouge ardent, passant comme des
flammes dans l’onde transparente, ou montrant, aussitôt
qu’ils s’arrêtaient, le filet bleu qui bordait leurs
écailles.
Georges et Suzanne voyaient leurs propres figures
renversées dans l’eau, et ils souriaient à leurs images.
Tout à coup, il dit à voix basse :
"Ce n’est pas bien de me faire des cachotteries, Suzanne."
Elle demanda :
"Quoi donc, Bel-Ami ?
- Vous ne vous rappelez pas ce que vous m’avez
promis, ici même, le soir de la fête ?
-Mais non !
- De me consulter toutes les fois qu’on demanderait
votre main.
- Eh bien ?
- Eh bien, on l’a demandée.
- Qui ça ?
- Vous le savez bien.
- Non. Je vous jure.
- Si, vous le savez ! Ce grand fat de marquis de Cazolles.
- Il n’est pas fat, d’abord.
- C’est possible ! mais il est stupide ; ruiné par le jeu
et usé par la noce. C’est vraiment un joli parti pour
vous, si jolie, si fraîche, et si intelligente."
Elle demanda en souriant :
"Qu’est-ce que vous avez contre lui ?
-Moi ? Rien.
-Mais si. Il n’est pas tout ce que vous dites.
- Allons donc. C’est un sot et un intrigant."
Elle se tourna un peu, cessant de regarder dans
l’eau :
"Voyons, qu’est-ce que vous avez ?"
Il prononça, comme si on lui eût arraché un secret
du fond du coeur.
"J’ai... j’ai... j’ai que je suis jaloux de lui."
Elle s’étonna modérément :
"Vous ?
- Oui, moi !
- Tiens. Pourquoi ça ?
- Parce que je suis amoureux de vous, et vous le savez
bien, méchante ! "
Alors elle dit d’un ton sévère :
" Vous êtes fou, Bel-Ami !"
Il reprit :
"Je le sais bien que je suis fou. Est-ce que je devrais
vous avouer cela, moi, un homme marié, à vous,
une jeune fille ? Je suis plus que fou, je suis coupable,
presque misérable. Je n’ai pas d’espoir possible, et je
perds la raison à cette pensée. Et quand j’entends dire
que vous allez vous marier, j’ai des accès de fureur à
tuer quelqu’un. Il faut me pardonner ça, Suzanne !"
Il se tut. Les poissons à qui on ne jetait plus de pain
demeuraient immobiles, rangés presque en lignes,
pareils à des soldats anglais, et regardant les figures
penchées de ces deux personnes qui ne s’occupaient
plus d’eux.
La jeune fille murmura, moitié tristement, moitié
gaiement :
"C’est dommage que vous soyez marié. Que
voulez-vous ? On n’y peut rien. C’est fini !"
Il se retourna brusquement vers elle, et il lui dit,
tout près, dans la figure :
"Si j’étais libre, moi,m’épouseriez-vous ?"
Elle répondit, avec un accent sincère :
"Oui, Bel-Ami, je vous épouserais, car vous me
plaisez beaucoup plus que tous les autres."
Il se leva, et balbutiant :
"Merci..., merci..., je vous en supplie, ne dites " oui
" à personne ? Attendez encore un peu. Je vous en
supplie !Me le promettez-vous ?"
Elle murmura, un peu troublée et sans comprendre
ce qu’il voulait :
"Je vous le promets."
Du Roy jeta dans l’eau le gros morceau de pain qu’il
tenait encore aux mains, et il s’enfuit, comme s’il eût
perdu la tête, sans dire adieu.
Tous les poissons se jetèrent avidement sur ce paquet
de mie qui flottait n’ayant point été pétri par les
doigts, et ils le dépecèrent de leurs bouches voraces.
Ils l’entraînaient à l’autre bout du bassin, s’agitaient
au-dessous, formant maintenant une grappe mouvante,
une espèce de fleur animée et tournoyante,
une fleur vivante, tombée à l’eau la tête en bas.
Suzanne, surprise, inquiète, se redressa, et s’en revint
tout doucement. Le journaliste était parti.
Il rentra chez lui, fort calme, et comme Madeleine
écrivait des lettres, il lui demanda :
"Dînes-tu vendredi chez lesWalter ?Moi, j’irai."
Elle hésita :
"Non. Je suis un peu souffrante. J’aime mieux rester
ici."
Il répondit :
"Comme il te plaira. Personne ne te force."
Puis il reprit son chapeau et ressortit aussitôt.
Depuis longtemps il l’épiait, la surveillait et la suivait,
sachant toutes ses démarches. L’heure qu’il attendait
était enfin venue. Il ne s’était point trompé au
ton dont elle avait répondu : "J’aime mieux rester ici."
Il fut aimable pour elle pendant les jours qui suivirent.
Il parut même gai, ce qui ne lui était plus ordinaire.
Elle disait : "Voilà que tu redeviens gentil."
Il s’habilla de bonne heure le vendredi pour
faire quelques courses avant d’aller chez le Patron,
affirmait-il.
Puis il partit vers six heures, après avoir embrassé
sa femme, et il alla chercher un fiacre place Notre-
Dame-de-Lorette.
Il dit au cocher :
"Vous vous arrêterez en face du numéro 17, rue
Fontaine, et vous resterez là jusqu’à ce que je vous
donne l’ordre de vous en aller. Vous me conduirez ensuite
au restaurant du Coq-Faisan, rue Lafayette. "
La voiture se mit en route au trot lent du cheval, et
Du Roy baissa les stores. Dès qu’il fut en face de sa
porte, il ne la quitta plus des yeux. Après dix minutes
d’attente, il vit sortir Madeleine qui remonta vers les
boulevards extérieurs.
Aussitôt qu’elle fut loin, il passa la tête " la portière,
et il cria :
"Allez."
Le fiacre se remit en marche, et le déposa devant
le Coq-Faisan, restaurant bourgeois connu dans le
quartier. Georges entra dans la salle commune, et
mangea doucement, en regardant l’heure à sa montre
de temps en temps. A sept heures et demie, comme il
avait bu son café, pris deux verres de fine champagne
et fumé, avec lenteur, un bon cigare, il sortit, héla une
autre voiture qui passait à vide, et se fit conduire rue
La Rochefoucauld.
Il monta, sans rien demander au concierge, au
troisième étage de la maison qu’il avait indiquée, et
quand une bonne lui eut ouvert :
"M. Guibert de Lorme est chez lui, n’est-ce pas ?
- Oui, monsieur."
On le fit pénétrer dans le salon, où il attendit
quelques instants. Puis un homme entra, grand, dé-
coré, avec l’air militaire, et portant des cheveux gris,
bien qu’il fût jeune encore.
Du Roy le salua, puis lui dit :
"Comme je le prévoyais, monsieur le commissaire
de police, ma femme dîne avec son amant dans le logement
garni qu’ils ont loué rue desMartyrs."
Lemagistrat s’inclina :
"Je suis à votre disposition,monsieur."
Georges reprit :
"Vous avez jusqu’à neuf heures, n’est-ce pas ? Cette
limite passée, vous ne pouvez plus pénétrer dans un
domicile particulier pour y constater un adultère.
- Non, monsieur, sept heures en hiver, neuf heures
à partir du 31 mars. Nous sommes au 5 avril, nous
avons donc jusqu’à neuf heures.
- Eh bien,monsieur le commissaire, j’ai une voiture
en bas, nous pouvons prendre les agents qui vous accompagneront,
puis nous attendrons un peu devant
la porte. Plus nous arriverons tard, plus nous avons
de chance de bien les surprendre en flagrant délit.
- Comme il vous plaira,monsieur."
Le commissaire sortit, puis revint, vêtu d’un pardessus
qui cachait sa ceinture tricolore. Il s’effaça
pour laisser passer Du Roy. Mais le journaliste, dont
l’esprit était préoccupé, refusait de sortir le premier,
et répétait : "Après vous... après vous."
Lemagistrat prononça :
"Passez donc, monsieur, je suis chez moi."
L’autre, aussitôt, franchit la porte en saluant.
Ils allèrent d’abord au commissariat chercher trois
agents en bourgeois qui attendaient, car Georges
avait prévenu dans la journée que la surprise aurait
lieu ce soir-là. Un des hommes monta sur le siège,
à côté du cocher. Les deux autres entrèrent dans le
fiacre, qui gagna la rue desMartyrs.
Du Roy disait :
"J’ai le plan de l’appartement. C’est au second.
Nous trouverons d’abord un petit vestibule, puis la
chambre à coucher. Les trois pièces se commandent.
Aucune sortie ne peut faciliter la fuite. Il y a un serrurier
un peu plus loin. Il se tiendra prêt à être réquisitionné
par vous."
Quand ils furent devant la maison indiquée, il
n’était encore que huit heures un quart, et ils attendirent
en silence pendant plus de vingt minutes.
Mais lorsqu’il vit que les trois quarts allaient sonner,
Georges dit : " Allons maintenant." Et ils montèrent
l’escalier sans s’occuper du portier, qui ne les remarqua
point, d’ailleurs. Un des agents demeura dans la
rue pour surveiller la sortie.
Les quatre hommes s’arrêtèrent au second étage, et
Du Roy colla d’abord son oreille contre la porte, puis
son oeil au trou de la serrure. Il n’entendit rien et ne
vit rien. Il sonna.
Le commissaire dit à ses agents :
"Vous resterez ici, prêts à tout appel."
Et ils attendirent. Au bout de deux ou trois minutes
Georges tira de nouveau le bouton du timbre plusieurs
fois de suite. Ils perçurent un bruit au fond de
l’appartement ; puis un pas léger s’approcha. Quelqu’un
venait épier. Le journaliste alors frappa vivement
avec son doigt plié contre le bois des panneaux.
Une voix, une voix de femme, qu’on cherchait à déguiser,
demanda :
"Qui est là ?"
L’officier municipal répondit :
"Ouvrez, au nom de la loi."
La voix répéta :
"Qui êtes-vous ?
- Je suis le commissaire de police. Ouvrez, ou je fais
forcer la porte."
La voix reprit :
"Que voulez-vous ?
Et Du Roy dit :
C’est moi. Il est inutile de chercher à nous échapper."
Le pas léger, un pas de pieds nus, s’éloigna, puis
revint au bout de quelques secondes.
Georges dit :
Si vous ne voulez pas ouvrir, nous enfonçons la
porte."
Il serrait la poignée de cuivre, et d’une épaule il
poussait lentement. Comme on ne répondait plus, il
donna tout à coup une secousse si violente et si vigoureuse
que la vieille serrure de cette maison meublée
céda. Les vis arrachées sortirent du bois et le
jeune homme faillit tomber sur Madeleine qui se tenait
debout dans l’antichambre, vêtue d’une chemise
et d’un jupon, les cheveux défaits, les jambes dévêtues,
une bougie à la main.
Il s’écria : C’est elle, nous les tenons." Et il se jeta
dans l’appartement. Le commissaire ayant ôté son
chapeau, le suivit. Et la jeune femme effarée s’en vint
derrière eux en les éclairant.
Ils traversèrent une salle à manger dont la table
non desservie montrait les restes du repas : des bouteilles
à champagne vides, une terrine de foies gras
ouverte, une carcasse de poulet et des morceaux de
pain à moitié mangés. Deux assiettes posées sur le
dressoir portaient des piles d’écailles d’huîtres.
La chambre semblait ravagée par une lutte. Une
robe coiffait une chaise, une culotte d’homme restait
à cheval sur le bras d’un fauteuil. Quatre bottines,
deux grandes et deux petites, traînaient au pied du lit,
tombées sur le flanc.
C’était une chambre de maison garnie, aux
meubles communs, où flottait cette odeur odieuse et
fade des appartements d’hôtel, odeur émanée des rideaux,
des matelas, des murs, des sièges, odeur de
toutes les personnes qui avaient couché ou vécu, un
jour ou six mois, dans ce logis public, et laissé là un
peu de leur senteur, de cette senteur humaine qui,
s’ajoutant à celle des devanciers, formait à la longue
une puanteur confuse, douce et intolérable, la même
dans tous ces lieux.
Une assiette à gâteaux, une bouteille de chartreuse
et deux petits verres encore à moitié pleins encombraient
la cheminée. Le sujet de la pendule de bronze
était caché par un grand chapeau d’homme.
Le commissaire se retourna vivement, et regardant
Madeleine dans les yeux :
"Vous êtes bien Mme Claire-Madeleine Du Roy,
épouse légitime de M. Prosper-Georges Du Roy, publiciste,
ici présent ? "
Elle articula, d’une voix étranglée :
"Oui, monsieur.
- Que faites-vous ici ?"
Elle ne répondit pas.
Le magistrat reprit : "Que faites-vous ici ? Je vous
trouve hors de chez vous, presque dévêtue dans un
appartement meublé. Qu’êtes-vous venue y faire ?"
Il attendit quelques instants. Puis, comme elle gardait
toujours le silence :
- Du moment que vous ne voulez pas l’avouer, madame,
je vais être contraint de le constater."
On voyait dans le lit la forme d’un corps caché sous
le drap.
Le commissaire s’approcha et appela :
"Monsieur ?"
L’homme caché ne remua pas. Il paraissait tourner
le dos, la tête enfoncée sous un oreiller.
L’officier toucha ce qui semblait être l’épaule, et répéta
: "Monsieur, neme forcez pas, je vous prie, à des
actes."
Mais le corps voilé demeurait aussi immobile que
s’il eût été mort.
Du Roy, qui s’était avancé vivement, saisit la couverture,
la tira et, arrachant l’oreiller, découvrit la figure
livide de M. Laroche-Mathieu. Il se pencha vers
lui et, frémissant de l’envie de le saisir au cou pour
l’étrangler, il lui dit, les dents serrées :
"Ayez donc au moins le courage de votre infamie."
Lemagistrat demanda encore :
"Qui êtes-vous ?" L’amant, éperdu, ne répondant
pas, il reprit :
"Je suis commissaire de police et je vous somme de
me dire votre nom!"
Georges, qu’une colère bestiale faisait trembler,
cria :
"Mais répondez donc, lâche, ou je vais vous nommer,
moi."
Alors l’homme couché balbutia :
"Monsieur le commissaire, vous ne devez pas me
laisser insulter par cet individu. Est-ce à vous ou à lui
que j’ai affaire ? Est-ce à vous ou à lui que je dois répondre
?"
Il paraissait n’avoir plus de salive dans la bouche.
L’officier répondit :
"C’est à moi, monsieur, à moi seul. Je vous demande
qui vous êtes ?"
L’autre se tut. Il tenait le drap serré contre son cou
et roulait des yeux effarés. Ses petites moustaches
retroussées semblaient toutes noires sur sa figure
blême.
Le commissaire reprit :
"Vous ne voulez pas répondre ? Alors je serai forcé
de vous arrêter. Dans tous les cas, levez-vous. Je vous
interrogerai lorsque vous serez vêtu."
Le corps s’agita dans le lit, et la tête murmura :
"Mais je ne peux pas devant vous."
Lemagistrat demanda :
"Pourquoi ça ?"
L’autre balbutia :
C’est que je suis... je suis... je suis tout nu."
Du Roy se mit à ricaner, et ramassant une chemise
tombée à terre, il la jeta sur la couche en criant :
"Allons donc... levez-vous... Puisque vous vous êtes
déshabillé devant ma femme, vous pouvez bien vous
habiller devant moi."
Puis il tourna le dos et revint vers la cheminée.
Madeleine avait retrouvé son sang-froid, et voyant
tout perdu, elle était prête à tout oser. Une audace
de bravade faisait briller son oeil ; et, roulant un morceau
de papier, elle alluma, comme pour une réception,
les dix bougies des vilains candélabres posés au
coin de la cheminée. Puis elle s’adossa au marbre et
tendant au feu mourant un de ses pieds nus, qui soulevait
par derrière son jupon à peine arrêté sur les
hanches, elle prit une cigarette dans un étui de papier
rose, l’enflamma et semit à fumer.
Le commissaire était revenu vers elle, attendant
que son complice fût debout.
Elle demanda avec insolence :
"Vous faites souvent ce métier-là, monsieur ?"
Il répondit gravement :
"Le moins possible,madame."
Elle lui souriait sous le nez :
"Je vous en félicite, ça n’est pas propre."
Elle affectait de ne pas regarder, de ne pas voir son
mari.
Mais le monsieur du lit s’habillait. Il avait passé son
pantalon, chaussé ses bottines et il se rapprocha, en
endossant son gilet.
L’officier de police se tourna vers lui :
"Maintenant, monsieur, voulez-vous me dire qui
vous êtes ?"
L’autre ne répondit pas.
Le commissaire prononça :
"Je me vois forcé de vous arrêter."
Alors l’homme s’écria brusquement :
"Ne me touchez pas. Je suis inviolable !"
Du Roy s’élança vers lui, comme pour le terrasser,
et il lui grogna dans la figure :
"II y a flagrant délit... flagrant délit. Je peux vous
faire arrêter, si je veux... oui, je le peux."
Puis, d’un ton vibrant :
"Cet homme s’appelle Laroche-Mathieu, ministre
des Affaires étrangères."
Le commissaire de police recula stupéfait, et balbutiant
:
"En vérité, monsieur, voulez-vous me dire qui vous
êtes, à la fin ?"
L’homme se décida, et avec force :
"Pour une fois, ce misérable-là n’a point menti. Je
me nomme, en effet, Laroche-Mathieu, ministre."
Puis tendant le bras vers la poitrine de Georges, où
apparaissait comme une lueur, un petit point rouge,
il ajouta :
"Et le gredin que voici porte sur son habit la croix
d’honneur que je lui ai donnée."
Du Roy était devenu livide. D’un geste rapide, il arracha
de sa boutonnière la courte flamme de ruban,
et, la jetant dans la cheminée :
"Voilà ce que vaut une décoration qui vient de salops
de votre espèce."
Ils étaient face à face, les dents près des dents,
exaspérés, les poings serrés, l’un maigre et la moustache
au vent, l’autre gras et la moustache en croc.
Le commissaire passa vivement entre les deux et,
les écartant avec ses mains :
"Messieurs, vous vous oubliez, vous manquez de
dignité !"
Ils se turent et se tournèrent les talons. Madeleine,
immobile, fumait toujours, en souriant.
L’officier de police reprit :
- " Monsieur le ministre, je vous ai surpris, seul
avec Mme Du Roy, que voici, vous couché, elle
presque nue. Vos vêtements étant jetés pêle-mêle à
travers l’appartement, cela constitue un flagrant délit
d’adultère. Vous ne pouvez nier l’évidence. Qu’avezvous
à répondre ?"
Laroche-Mathieu murmura :
"Je n’ai rien à dire, faites votre devoir."
Le commissaire s’adressa àMadeleine :
"Avouez-vous, madame, que monsieur soit votre
amant ?"
Elle prononça crânement :
"Je ne le nie pas, il est mon amant !
- Cela suffit,"
Puis le magistrat prit quelques notes sur l’état et la
disposition du logis. Commeil finissait d’écrire, le ministre
qui avait achevé de s’habiller et qui attendait, le
paletot sur le bras, le chapeau à la main, demanda :
"Avez-vous encore besoin de moi, monsieur ? Que
dois-je faire ? Puis-je me retirer ?"
Du Roy se retourna vers lui et souriant avec insolence
:
"Pourquoi donc ? Nous avons fini. Vous pouvez
vous recoucher, monsieur ; nous allons vous laisser
seuls."
Et posant le doigt sur le bras de l’officier de police :
"Retirons-nous, monsieur le commissaire, nous
n’avons plus rien à faire en ce lieu."
Un peu surpris, le magistrat le suivit ; mais, sur le
seuil de la chambre, Georges s’arrêta pour le laisser
passer. L’autre s’y refusait par cérémonie.
Du Roy insistait : "Passez donc,monsieur." Le commissaire
dit : " Après vous." Alors le journaliste salua,
et sur le ton d’une politesse ironique : "C’est
votre tour,monsieur le commissaire de police. Je suis
presque chezmoi, ici."
Puis il referma la porte doucement, avec un air de
discrétion.
Une heure plus tard, Georges Du Roy entrait dans
les bureaux de La Vie Française.
M. Walter était déjà là, car il continuait à diriger et
à surveiller avec sollicitude son journal qui avait pris
une extension énorme et qui favorisait beaucoup les
opérations grandissantes de sa banque.
Le directeur leva la tête et demanda :
"Tiens, vous voici ? Vous semblez tout drôle ! Pourquoi
n’êtes-vous pas venu dîner à la maison ? D’où
sortez-vous donc ?"
Le jeune homme, qui était sûr de son effet, déclara,
en pesant sur chaque mot :
"Je viens de jeter bas le ministre des Affaires étrangères."
L’autre crut qu’il plaisantait.
"De jeter bas... Comment?
- Je vais changer le cabinet. Voilà tout ! Il n’est pas
trop tôt de chasser cette charogne."
Le vieux, stupéfait, crut que son chroniqueur était
gris. Il murmura :
"Voyons, vous déraisonnez.
- Pas du tout. Je viens de surprendre M. Laroche-
Mathieu en flagrant délit d’adultère avec ma femme.
Le commissaire de police a constaté la chose. Le ministre
est foutu."
Walter, interdit, releva tout à fait ses lunettes sur
son front et demanda :
"Vous ne vous moquez pas de moi ?
- Pas du tout. Je vais même faire un écho là-dessus.
-Mais alors que voulez-vous ?
- Jeter bas ce fripon, ce misérable, cemalfaiteur public
!"
Georges posa son chapeau sur un fauteuil, puis
ajouta :
"Gare à ceux que je trouve sur mon chemin. Je ne
pardonne jamais."
Le directeur hésitait encore à comprendre. Il murmura
:
"Mais... votre femme?
- Ma demande en divorce sera faite dès demain
matin. Je la renvoie à feu Forestier.
- Vous voulez divorcer ?
- Parbleu. J’étais ridicule. Mais il me fallait faire la
bête pour les surprendre. Ça y est. Je suis maître de la
situation."
M. Walter n’en revenait pas ; et il regardait Du
Roy avec des yeux effarés, pensant : "Bigre. Ç’est un
gaillard bon à ménager."
Georges reprit :
"Me voici libre... J’ai une certaine fortune. Je me
présenterai aux élections au renouvellement d’octobre,
dans mon pays où je suis fort connu. Je ne
pouvais pas me poser ni me faire respecter avec
cette femme qui était suspecte à tout le monde. Elle
m’avait pris comme un niais, elle m’avait enjôlé et
capturé. Mais depuis que je savais son jeu, je la surveillais,
la gredine."
Il se mit à rire et ajouta :
"C’est ce pauvre Forestier qui était cocu... cocu
sans s’en douter, confiant et tranquille. Me voici débarrassé
de la teigne qu’il m’avait laissée. J’ai les
mains déliées.Maintenant, j’irai loin."
Il s’était mis à califourchon sur une chaise. Il répéta,
comme s’il eût songé : "J’irai loin."
Et le père Walter le regardait toujours de ses yeux
découverts, ses lunettes restant relevées sur le front,
et il se disait : "Oui, il ira loin, le gredin."
Georges se releva :
"Je vais rédiger l’écho. Il faut le faire avec discrétion.
Mais vous savez, il sera terrible pour le ministre.
C’est un homme à la mer. On ne peut pas le repêcher.
La Vie Française n’a plus d’intérêt à le ménager."
Le vieux hésita quelques instants, puis il en prit son
parti :
"Faites, dit-il, tant pis pour ceux qui se fichent dans
ces pétrins-là."

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