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听法语故事: 美丽朋友  第十八章【完】

时间:2011-06-24 17:22:42 来源:可可法语 编辑:lydie310  测测英语水平如何

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Bel-Ami  美丽朋友
Guy de Maupassant  莫泊桑
Publication: 1885

Deuxième partie
Chapitre 18


Chapitre 10
Il faisait sombre dans le petit appartement de la rue de Constantinople,
car Georges Du Roy et Clotilde de Marelle s'étant rencontrés sous la
porte étaient entrés brusquement, et elle lui avait dit, sans lui laisser le
temps d'ouvrir les persiennes:

"Ainsi, tu épouses Suzanne Walter?"

Il avoua avec douceur et ajouta:

"Tu ne le savais pas?"

Elle reprit, debout devant lui, furieuse, indignée:

"Tu épouses Suzanne Walter! C'est trop fort! c'est trop fort! Voilà trois
mois que tu me cajoles pour me cacher .a. Tout le monde le sait, excepté
moi. C'est mon mari qui me l'a appris!"

Du Roy se mit à ricaner, un peu confus tout de même, et, ayant posé
son chapeau sur un coin de la cheminée, il s'assit dans un fauteuil.

Elle le regardait bien en face, et elle dit d'une voix irritée et basse:

"Depuis que tu as quitté ta femme, tu préparais ce coup-là, et tu me
gardais gentiment comme ma.tresse, pour faire l'intérim? Quel gredin tu
es!"

Il demanda:

"Pourquoi .a? J'avais une femme qui me trompait. Je l'ai surprise; j'ai
obtenu le divorce, et j'en épouse une autre. Quoi de plus simple? "

Elle murmura, frémissante:

"Oh! comme tu es roué et dangereux, toi!"

Il se remit à sourire:

"Parbleu! Les imbéciles et les niais sont toujours des dupes!"

Mais elle suivait son idée:

"Comme j'aurais d. te deviner dès le commencement. Mais non, je ne
pouvais pas croire que tu serais crapule comme .a."

Il prit un air digne:

"Je te prie de faire attention aux mots que tu emploies."

Elle se révolta contre cette indignation:

"Quoi! tu veux que je prenne des gants pour te parler maintenant! Tu
te conduis avec moi comme un gueux depuis que je te connais, et tu


prétends que je ne te le dise pas? Tu trompes tout le monde, tu exploites
tout le monde, tu prends du plaisir et de l'argent partout, et tu veux que
je te traite comme un honnête homme?"

Il se leva, et la lèvre tremblante:

"Tais-toi, ou je te fais sortir d'ici."

Elle balbutia:

"Sortir d'ici… Sortir d'ici… Tu me ferais sortir d'ici… toi… toi?… "

Elle ne pouvait plus parler, tant elle suffoquait de colère, et brusquement,
comme si la porte de sa fureur se f.t brisée, elle éclata:

"Sortir d'ici? Tu oublies donc que c'est moi qui l'ai payé, depuis le premier
jour, ce logement-là! Ah! oui, tu l'as bien pris à ton compte de temps
en temps. Mais qui est-ce qui l'a loué?… C'est moi… Qui est-ce qui l'a
gardé?… C'est moi… Et tu veux me faire sortir d'ici. Tais-toi donc,
vaurien! Crois-tu que je ne sais pas comment tu as volé à Madeleine la
moitié de l'héritage de Vaudrec? Crois-tu que je ne sais pas comment tu
as couché avec Suzanne pour la forcer à t'épouser… "

Il la saisit par les épaules et la secouant entre ses mains:

"Ne parle pas de celle-là! Je te le défends!"

Elle cria:

"Tu as couché avec, je le sais."

Il e.t accepté n'importe quoi, mais ce mensonge l'exaspérait. Les vérités
qu'elle lui avait criées par le visage lui faisaient passer tout à l'heure
des frissons de rage dans le coeur, mais cette fausseté sur cette petite fille
qui allait devenir sa femme éveillait dans le creux de sa main un besoin
furieux de frapper.

Il répéta:

"Tais-toi… prends garde… tais-toi… " Et il l'agitait comme on agite
une branche pour en faire tomber les fruits.

Elle hurla, décoiffée, la bouche grande ouverte, les yeux fous:

"Tu as couché avec!"

Il la lacha et lui lan.a par la figure un tel soufflet qu'elle alla tomber
contre le mur. Mais elle se retourna vers lui, et, soulevée sur ses poignets,
vociféra encore une fois:

"Tu as couché avec!"

Il se rua sur elle, et, la tenant sous lui, la frappa comme s'il tapait sur
un homme.

Elle se tut soudain et se mit à gémir sous les coups. Elle ne remuait
plus. Elle avait caché sa figure dans l'angle du parquet de la muraille, et
elle poussait des cris plaintifs.


Il cessa de la battre et se redressa. Puis il fit quelques pas par la pièce
pour reprendre son sang-froid; et, une idée lui étant venue, il passa dans
la chambre, emplit la cuvette d'eau froide, et se trempa la tête dedans.
Ensuite il se lava les mains, et il revint voir ce qu'elle faisait en s'essuyant
les doigts avec soin.

Elle n'avait point bougé. Elle restait étendue par terre, pleurant
doucement.

Il demanda:

"Auras-tu bient.t fini de larmoyer?"

Elle ne répondit pas. Alors il demeura debout au milieu de
l'appartement, un peu gêné, un peu honteux en face de ce corps allongé
devant lui.

Puis, tout à coup, il prit une résolution, et saisit son chapeau sur la
cheminée:

"Bonsoir. Tu remettras la clef au concierge quand tu seras prête. Je
n'attendrai pas ton bon plaisir."

Il sortit, ferma la porte, pénétra chez le portier, et lui dit:

"Madame est restée. Elle s'en ira tout à l'heure. Vous direz au propriétaire
que je donne congé pour le ler octobre. Nous sommes au 16 ao.t, je
me trouve donc dans les limites."

Et il s'en alla à grands pas, car il avait des courses pressées à faire pour
les derniers achats de la corbeille.

Le mariage était fixé au 20 octobre, après la rentrée des Chambres. Il
aurait lieu à l'église de la Madeleine. On en avait beaucoup jasé sans savoir
au juste la vérité. Différentes histoires circulaient. On chuchotait
qu'un enlèvement avait eu lieu, mais on n'était s.r de rien.

D'après les domestiques, Mme Walter, qui ne parlait plus à son futur
gendre, s'était empoisonnée de colère le soir où cette union avait été décidée,
après avoir fait conduire sa fille au couvent, à minuit.

On l'avait ramenée presque morte. Assurément, elle ne se remettrait jamais.
Elle avait l'air maintenant d'une vieille femme; ses cheveux devenaient
tout gris: et elle tombait dans la dévotion, communiant tous les
dimanches.

Dans les premiers jours de septembre, La Vie Fran.aise annon.a que le
baron Du Roy de Cantel devenait son rédacteur en chef, M. Walter
conservant le titre de directeur.

Alors on s'adjoignit un bataillon de chroniqueurs connus, d'échotiers,
de rédacteurs politiques, de critiques d'art et de théatre, enlevés à force
d'argent aux grands journaux, aux vieux journaux puissants et posés.


Les anciens journalistes, les journalistes graves et respectables ne haussaient
plus les épaules en parlant de La Vie Fran.aise. Le succès rapide et
complet avait effacé la mésestime des écrivains sérieux pour les débuts
de cette feuille.

Le mariage de son rédacteur en chef fut ce qu'on appelle un fait parisien,
Georges Du Roy et les Walter ayant soulevé beaucoup de curiosité
depuis quelque temps. Tous les gens qu'on cite dans les échos se promirent
d'y aller.

Cet événement eut lieu par un jour clair d'automne.

Dès huit heures du matin, tout le personnel de la Madeleine, étendant
sur les marches du haut perron de cette église qui domine la rue Royale
un large tapis rouge, faisait arrêter les passants, annon.ait au peuple de
Paris qu'une grande cérémonie allait avoir lieu.

Les employés se rendant à leur bureau, les petites ouvrières, les gar.ons
de magasin, s'arrêtaient, regardaient et songeaient vaguement aux
gens riches qui dépensaient tant d'argent pour s'accoupler.

Vers dix heures, les curieux commencèrent à stationner. Ils demeuraient
là quelques minutes, espérant que peut-être .a commencerait tout
de suite, puis ils s'en allaient.

A onze heures, des détachements de sergents de ville arrivèrent et se
mirent presque aussit.t à faire circuler la foule, car des attroupements se
formaient à chaque instant.

Les premiers invités apparurent bient.t, ceux qui voulaient être bien
placés pour tout voir. Ils prirent les chaises en bordure, le long de la nef
centrale.

Peu à peu, il en venait d'autres, des femmes qui faisaient un bruit
d'étoffes, un bruit de soie, des hommes sévères, presque tous chauves,
marchant avec une correction mondaine, plus graves encore en ce lieu.

L'église s'emplissait lentement. Un flot de soleil entrait par l'immense
porte ouverte éclairant les premiers rangs d'amis. Dans le choeur qui
semblait un peu sombre, l'autel couvert de cierges faisait une clarté
jaune, humble et pale en face du trou de lumière de la grande porte.

On se reconnaissait, on s'appelait d'un signe, on se réunissait par
groupes. Les hommes de lettres, moins respectueux que les hommes du
monde, causaient à mi-voix. On regardait les femmes.

Norbert de Varenne, qui cherchait un ami, aper.ut Jacques Rival vers
le milieu des lignes de chaises, et il le rejoignit.

"Eh bien, dit-il, l'avenir est aux malins!" L'autre, qui n'était point envieux,
répondit: "Tant mieux pour lui. Sa vie est faite." Et ils se mirent à
nommer les figures aper.ues.


Rival demanda:

"Savez-vous ce qu'est devenue sa femme?"

Le poète sourit:

"Oui et non. Elle vit très retirée, m'a-t-on dit, dans le quartier Montmartre.
Mais… il y a un mais… je lis depuis quelque temps dans La
Plume des articles politiques qui ressemblent terriblement à ceux de Forestier
et de Du Roy. Ils sont d'un nommé Jean Le Dol, un jeune homme,
beau gar.on, intelligent, de la même race que notre ami Georges, et qui a
fait la connaissance de son ancienne femme. D'où j'ai conclu qu'elle aimait
les débutants et les aimerait éternellement. Elle est riche d'ailleurs.
Vaudrec et Laroche-Mathieu n'ont pas été pour rien les assidus de la
maison."

Rival déclara:

"Elle n'est pas mal, cette petite Madeleine. Très fine et très rouée! Elle
doit être charmante au découvert. Mais, dites-moi, comment se fait-il que
Du Roy se marie à l'église après un divorce prononcé?"

Norbert de Varenne répondit:

"Il se marie à l'église parce que, pour l'église, il n'était pas marié, la
première fois.

-Comment .a?
-Notre Bel-Ami, par indifférence ou par économie, avait jugé la mairie
suffisante en épousant Madeleine Forestier. Il s'était donc passé de bénédiction
ecclésiastique, ce qui constituait, pour notre Sainte Mère l'Eglise,
un simple état de concubinage. Par conséquent, il arrive devant elle
aujourd'hui en gar.on, et elle lui prête toutes ses pompes, qui co.teront
cher au père Walter."

La rumeur de la foule accrue grandissait sous la vo.te. On entendait
des voix qui parlaient presque haut. On se montrait des hommes célèbres,
qui posaient, contents d'être vus, et gardant avec soin leur maintien
adopté devant le public, habitués à se montrer ainsi dans toutes les
fêtes dont ils étaient, leur semblait-il, les indispensables ornements, les
bibelots d'art.

Rival reprit:

"Dites donc, mon cher, vous qui allez souvent chez le Patron, est-ce
vrai que Mme Walter et Du Roy ne se parlent jamais plus?

-Jamais. Elle ne voulait pas lui donner la petite. Mais il tenait le père
par des cadavres découverts, para.t-il, des cadavres enterrés au Maroc. Il
a donc menacé le vieux de révélations épouvantables. Walter s'est rappelé
l'exemple de Laroche-Mathieu et il a cédé tout de suite. Mais la mère,
entêtée comme toutes les femmes, a juré qu'elle n'adresserait plus la


parole à son gendre. Ils sont rudement dr.les, en face l'un de l'autre. Elle
a l'air d'une statue, de la statue de la Vengeance, et il est fort gêné, lui,
bien qu'il fasse bonne contenance, car il sait se gouverner, celui-là!"

Des confrères venaient leur serrer la main. On entendait des bouts de
conversations politiques. Et vague comme le bruit d'une mer lointaine, le
grouillement du peuple amassé devant l'église entrait par la porte avec le
soleil, montait sous la vo.te, au-dessus de l'agitation plus discrète du public
d'élite massé dans le temple.

Tout à coup le suisse frappa trois fois le pavé du bois de sa hallebarde.
Toute l'assistance se retourna avec un long frou-frou de jupes et un remuement
de chaises. Et la jeune femme apparut, au bras de son père,
dans la vive lumière du portail.

Elle avait toujours l'air d'un joujou, d'un délicieux joujou blanc coiffé
de fleurs d'oranger.

Elle demeura quelques instants sur le seuil, puis, quand elle fit son
premier pas dans la nef, les orgues poussèrent un cri puissant, annoncèrent
l'entrée de la mariée avec leur grande voix de métal.

Elle s'en venait, la tête baissée, mais point timide, vaguement émue,
gentille, charmante, une miniature d'épousée. Les femmes souriaient et
murmuraient en la regardant passer. Les hommes chuchotaient:
"Exquise, adorable." M. Walter marchait avec une dignité exagérée, un
peu pale, les lunettes d'aplomb sur le nez.

Derrière eux, quatre demoiselles d'honneur, toutes les quatre vêtues
de rose et jolies toutes les quatre, formaient une cour à ce bijou de reine.
Les gar.ons d'honneur, bien choisis, conformes au type, allaient d'un pas
qui semblait réglé par un ma.tre de ballet.

Mme Walter les suivait, donnant le bras au père de son autre gendre,
au marquis de Latour-Yvelin, agé de soixante-douze ans. Elle ne marchait
pas, elle se tra.nait, prête à s'évanouir à chacun de ses mouvements
en avant. On sentait que ses pieds se collaient aux dalles, que ses jambes
refusaient d'avancer, que son coeur battait dans sa poitrine comme une
bête qui bondit pour s'échapper.

Elle était devenue maigre. Ses cheveux blancs faisaient para.tre plus
blême encore et plus creux son visage.

Elle regardait devant elle pour ne voir personne, pour ne songer, peutêtre,
qu'à ce qui la torturait.

Puis Georges Du Roy parut avec une vieille dame inconnue. Il levait la
tête sans détourner non plus ses yeux fixes, durs, sous ses sourcils un
peu crispés. Sa moustache semblait irritée sur sa lèvre. On le trouvait fort
beau gar.on. Il avait l'allure fière, la taille fine, la jambe droite. Il portait


bien son habit que tachait, comme une goutte de sang, le petit ruban
rouge de la Légion d'honneur.

Puis venaient les parents, Rose avec le sénateur Rissolin. Elle était mariée
depuis six semaines. Le comte de Latour-Yvelin accompagnait la vicomtesse
de Percemur.

Enfin ce fut une procession bizarre des alliés ou amis de Du Roy qu'il
avait présentés dans sa nouvelle famille, gens connus dans l'entremonde
parisien qui sont tout de suite les intimes, et, à l'occasion, les cousins
éloignés des riches parvenus, gentilshommes déclassés, ruinés, tachés,
mariés parfois, ce qui est pis. C'étaient M. de Belvigne, le marquis de
Banjolin, le comte et la comtesse de Ravenel, le duc de Ramorano, le
prince de Kravalow, le chevalier Valréali, puis des invités de Walter, le
prince de Guerche, le duc et la duchesse de Ferracine, la belle marquise
des Dunes. Quelques parents de Mme Walter gardaient un air comme il
faut de province, au milieu de ce défilé.

Et toujours les orgues chantaient, poussaient par l'énorme monument
les accents ronflants et rythmés de leurs gorges puissantes, qui crient au
ciel la joie ou la douleur des hommes. On referma les grands battants de
l'entrée, et, tout à coup, il fit sombre comme si on venait de mettre à la
porte le soleil.

Maintenant Georges était agenouillé à c.té de sa femme dans le
choeur, en face de l'autel illuminé. Le nouvel évêque de Tanger, crosse
en main, mitre en tête, apparut, sortant de la sacristie, pour les unir aunom de l'éternel.

Il posa les questions d'usage, échangea les anneaux, pronon.a les paroles
qui lient comme des cha.nes, et il adressa aux nouveaux époux une
allocution chrétienne. Il parla de fidélité, longuement, en termes pompeux.
C'était un gros homme de grande taille, un de ces beaux prélats
chez qui le ventre est une majesté.

Un bruit de sanglots fit retourner quelques têtes. Mme Walter pleurait,
la figure dans ses mains.

Elle avait d. céder. Qu'aurait-elle fait? Mais depuis le jour où elle avait
chassé de sa chambre sa fille revenue, en refusant de l'embrasser, depuis
le jour où elle avait dit à voix très basse à Du Roy, qui la saluait avec cérémonie
en reparaissant devant elle: "Vous êtes l'être le plus vil que je
connaisse, ne me parlez jamais plus, car je ne vous répondrai point!" elle
souffrait une intolérable et inapaisable torture. Elle ha.ssait Suzanne
d'une haine aigu., faite de passion exaspérée et de jalousie déchirante,
étrange jalousie de mère et de ma.tresse, inavouable, féroce, br.lante
comme une plaie vive.


Et voilà qu'un évêque les mariait, sa fille et son amant, dans une église,
en face de deux mille personnes, et devant elle! Et elle ne pouvait rien
dire? Elle ne pouvait pas empêcher cela? Elle ne pouvait pas crier: "Mais
il est à moi, cet homme, c'est mon amant. Cette union que vous bénissez
est infame."

Plusieurs femmes, attendries, murmurèrent: "Comme la pauvre mère
est émue."

L'évêque déclamait: "Vous êtes parmi les heureux de la terre, parmi les
plus riches et les plus respectés. Vous, monsieur, que votre talent élève
au-dessus des autres, vous qui écrivez, qui enseignez, qui conseillez, qui
dirigez le peuple, vous avez une belle mission à remplir, un bel exemple
à donner… "

Du Roy l'écoutait, ivre d'orgueil. Un prélat de l'église romaine lui par-
lait ainsi, à lui. Et il sentait, derrière son dos, une foule, une foule illustre
venue pour lui. Il lui semblait qu'une force le poussait, le soulevait. Il devenait
un des ma.tres de la terre, lui, lui, le fils des deux pauvres paysans
de Canteleu.

Il les vit tout à coup dans leur humble cabaret, au sommet de la c.te,
au-dessus de la grande vallée de Rouen, son père et sa mère, donnant à
boire aux campagnards du pays. Il leur avait envoyé cinq mille francs en
héritant du comte de Vaudrec. Il allait maintenant leur en envoyer cinquante
mille; et ils achèteraient un petit bien. Ils seraient contents,
heureux.

L'évêque avait terminé sa harangue. Un prêtre vêtu d'une étole dorée
montait à l'autel. Et les orgues recommencèrent à célébrer la gloire des
nouveaux époux.

Tant.t elles jetaient des clameurs prolongées, énormes, enflées comme
des vagues, si sonores et si puissantes, qu'il semblait qu'elles dussent
soulever et faire sauter le toit pour se répandre dans le ciel bleu. Leur
bruit vibrant emplissait toute l'église, faisait frissonner la chair et les
ames. Puis tout à coup elles se calmaient; et des notes fines, alertes, couraient
dans l'air, effleuraient l'oreille comme des souffles légers; c'étaient
de petits chants gracieux, menus, sautillants, qui voletaient ainsi que des
oiseaux; et soudain, cette coquette musique s'élargissait de nouveau, redevenant
effrayante de force et d'ampleur, comme si un grain de sable se
métamorphosait en un monde.

Puis des voix humaines s'élevèrent, passèrent au-dessus des têtes inclinées.
Vauri et Landeck, de l'Opéra, chantaient. L'encens répandait une
odeur fine de benjoin, et sur l'autel le sacrifice divin s'accomplissait;


l'Homme-Dieu, à l'appel de son prêtre, descendait sur la terre pour
consacrer le triomphe du baron Georges Du Roy.

Bel-Ami, à genoux à c.té de Suzanne, avait baissé le front. Il se sentait
en ce moment presque croyant, presque religieux, plein de reconnaissance
pour la divinité qui l'avait ainsi favorisé, qui le traitait avec ces
égards. Et sans savoir au juste à qui il s'adressait, il la remerciait de son
succès.

Lorsque l'office fut terminé, il se redressa, et donnant le bras à sa
femme, il passa dans la sacristie. Alors commen.a l'interminable défilé
des assistants. Georges, affolé de joie, se croyait un roi qu'un peuple venait
acclamer. Il serrait des mains, balbutiait des mots qui ne signifiaient
rien, saluait, répondait aux compliments: "Vous êtes bien aimable."

Soudain il aper.ut Mme de Marelle; et le souvenir de tous les baisers
qu'il lui avait donnés, qu'elle lui avait rendus, le souvenir de toutes leurs
caresses, de ses gentillesses, du son de sa voix, du go.t de ses lèvres, lui
fit passer dans le sang le désir brusque de la reprendre. Elle était jolie,
élégante, avec son air gamin et ses yeux vifs. Georges pensait: "Quelle
charmante ma.tresse, tout de même."

Elle s'approcha un peu timide, un peu inquiète, et lui tendit la main. Il
la re.ut dans la sienne et la garda. Alors il sentit l'appel discret de ses
doigts de femme, la douce pression qui pardonne et reprend. Et luimême
il la serrait, cette petite main, comme pour dire: "Je t'aime toujours,
je suis à toi!"

Leurs yeux se rencontrèrent, souriants, brillants, pleins d'amour. Elle
murmura de sa voix gracieuse: "A bient.t, monsieur."

Il répondit gaiement: "A bient.t, madame."

Et elle s'éloigna.

D'autres personnes se poussaient. La foule coulait devant lui comme
un fleuve. Enfin elle s'éclaircit. Les derniers assistants partirent. Georges
reprit le bras de Suzanne pour retraverser l'église.

Elle était pleine de monde, car chacun avait regagné sa place, afin de
les voir passer ensemble. Il allait lentement, d'un pas calme, la tête haute,
les yeux fixés sur la grande baie ensoleillée de la porte. Il sentait sur sa
peau courir de longs frissons, ces frissons froids que donnent les immenses
bonheurs. Il ne voyait personne. Il ne pensait qu'à lui.

Lorsqu'il parvint sur le seuil, il aper.ut la foule amassée, une foule
noire, bruissante, venue là pour lui, pour lui Georges Du Roy. Le peuple
de Paris le contemplait et l'enviait.


Puis, relevant les yeux, il découvrit là-bas, derrière la place de la Concorde,
la Chambre des députés. Et il lui sembla qu'il allait faire un bond
du portique de la Madeleine au portique du Palais-Bourbon.

Il descendit avec lenteur les marches du haut perron entre deux haies
de spectateurs. Mais il ne les voyait point; sa pensée maintenant revenait
en arrière, et devant ses yeux éblouis par l'éclatant soleil flottait l'image
de Mme de Marelle rajustant en face de la glace les petits cheveux frisés
de ses tempes, toujours défaits au sortir du lit.


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